[1835] Les Anglais sont partout !

Les 23 et 24 septembre 1835, le HMS Beagle mouille devant l'île Floreana. Comme le rapporte le Capitaine FitzRoy dans ses Narratives, la cartographie de l'île de San Cristobal est achevée, et notre célèbre équipage poursuit inlassablement sa mission scientifique. Rien n'a été mené à la légère. Pendant que Darwin et Stokes débarquait sur l'île, le Capitaine s'adonnait à ses relevés et précisait minutieusement la météo rencontrée sur place. Un travail rigoureux mené avec zèle, selon son habitude.

Inutile de préciser que les relevés de l'île Floreana eurent droit à la même rigueur ! Les eaux locales sont ponctuées de récifs et îlots, que le brick-sloop visite prudemment. Puis, le bâtiment rejoint Post-Office Bay. Je ne traduis pas ce nom de côte, vous laissant imaginer ce qu'il peut bien signifier pour les navires du XIXème siècle parvenant jusqu'aux Galápagos. Or en effet, le nom doit bien être pris au premier degré ! Sur la plage volcanique de cette baie, les baleiniers ont installé une modeste boîte aux lettres. Et elle fonctionne ! Puisque aussi régulièrement que possible, le courrier y est relevé. Cette poste saugrenue vivait cependant ses derniers jours, puisque désormais peuplée par une petite colonie, la boîte aux lettres solitaire sur ces terres sauvages allait être remplacée par un système bien plus conventionnel.

Darwin nous apprend dans son Journal de Bord que la colonie n'est présente sur l'île que depuis 6 ans. Elle abrite la demeure du Gouverneur de l'Archipel. Et comble de hasard, il s'agit d'un anglais, Mr. Nicholas O. Lawson ! Décidément, la communauté britannique sait se placer, même à l'autre bout du monde. Cependant et contrairement aux Malouines, il n'est pas question d'annexer par la force ce territoire lointain. Comme Mr. Lawson l'explique lors de sa visite à bord du HMS Beagle, l'archipel a été annexé par l’Équateur en 1832. Le 25 septembre, Darwin et quelques officiers débarquent pour visiter la petite colonie. Deux cent âmes peuplent ce que notre jeune naturaliste décrit comme un misérable pueblo de gens de couleurs et d'exilés politiques. FitzRoy note le développement agricole de la colonie : banane, canne à sucre, maïs, patate douce, toutes luxuriantes et prometteuses. Darwin, quant à lui, rapporte les difficultés économiques de la colonie (quasiment aucune monnaie ne circule) et considère que mis à part les 60 à 70 baleiniers faisant annuellement escale, les débouchées commerciales sont négligeables.



Tous deux s'accordent cependant sur le climat local : pluvieux, chaud et humide. A l'exception des côtes péruviennes et nord-chiliennes si arides ! Mais les conditions de vie demeurent particulièrement rudes ; les éleveurs et agriculteurs sont tout autant des chasseurs-cueilleurs, menant « une vie à la Robinson Crusoé » Charles Darwin, Op. Cit. En conséquence, les tortues terrestres sont sur-consommées. Déjà, le Gouverneur préfère envoyer ses hommes chasser sur l'île voisine de San Salvador. D'ici vingt ans, prédit-il, il n'y en aura plus sur l'île Floreana. Quel dommage, semble penser Darwin entre les lignes, qui rapporte la longévité de ces animaux : « en 1830 on en attrapa une (il fallut 6 hommes pour la charger dans l'embarcation) qui avait plusieurs dates gravées sur sa carapace, dont l'une était de 1786 » Charles Darwin, Op. Cit. Hélas, cet hommage n'empêche en rien le massacre de ces nobles reptiles. Et pour cause, une seule tortue adulte peut livrer jusqu'à 200 livres de viande fraîche ! Un véritable garde-manger pour les navigateurs de l'époque. Et un écocide de plus dans ces fragiles écosystèmes insulaires.

Les 26 et 27 septembre 1835, Darwin collecte assidûment animaux et végétaux de l'île Floreana. Il y capture le Géospize modeste (Camarhynchus pauper), un des célèbres « pinsons de Darwin ». Ne reculant devant aucun défi, notre randonneur chevronné grimpe jusqu'à son plus haut sommet, le Cerro Pajas, à 640 mètres d'altitude. Il s'agit du cratère égueulé d'un ancien volcan désormais inactif. Le site accueille une colonie de Pétrels des Galápagos. Hélas de nos jours, l'espèce est menacée par l'anthropisation de l'île. Il suffit que l'Homme débarque pour que les rats noirs, ses éternels commensaux, l'accompagnent. Mais ces terribles rongeurs eurent tôt fait de prédater œufs et poussins dans leurs terriers (les Pétrels pondent dans les terriers de lapins abandonnés). Et l'introduction de chats pour lutter contre ces rongeurs n'arrange rien à l'affaire … Un véritable « cauchemar de Darwin ».


Géospize modeste (Camarhynchus pauper). Crédits : Jody O'Connor / Wikipedia


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