[1835] Les Oiseaux des Galápagos

Comme vous vous en doutez, l'escale aux Galápagos fut un temps fort pour l'ornithologie du Voyage du Beagle. De tous les spécimens rapportés par Darwin, les Pinsons des Galápagos demeurent, et de loin, les plus célèbres. A tel point qu'ils sont désormais fortement attachés à l'imagerie populaire du Voyage ! Et bien entendu, il nous serait impossible de passer à côté de la théorie de la sélection naturelle sans parler de cette fameuse ménagerie ailée. Car la biodiversité des Galápagos, de l'aveu même de Darwin, fut avec les fossiles d'Amérique du Sud à l'origine de ses toutes premières intuitions sur la transmutation des espèces, dès 1837. Précieuses esquisses qui devaient aboutir à la célèbre Origine des Espèces.

Nous ne rentrerons pas ici dans l'argumentaire évolutionniste si fréquemment traité autour de ces fameux Pinsons, mais traiterons plus spécifiquement de l'ornithologie de terrain aux Galápagos. L'expression des « Pinsons de Darwin » utilisé sur ce blog est d'ailleurs un anachronisme, puisque l'on doit l'expression à Percy Lowe (1936). Difficile cependant de ne pas l'utiliser, tant l'avifaune des Galápagos, et ces Fringillidés en particulier, tint un rôle important dans sa réflexion scientifique. Mais revenons au terrain, en partant de la lecture du « Voyage d'un Naturaliste autour du Monde » (seconde édition, 1842). Dans le chapitre 17 dédié aux Galápagos, Darwin résume ses observations ornithologiques. « Je me suis procuré vingt-six espèces d'oiseaux terrestres, tous particuliers à ce groupe d'îles ; on ne les trouve nulle part ailleurs, sauf un moineau ressemblant à l'alouette de l'Amérique septentrionale ». Charles Darwin, Op. Cit. Voyons plus en détails quelles espèces il rapporta de son escale dans l'archipel.

« Je crois que les collections d'oiseaux constituées par M. Bynoe, le capitaine FitzRoy et moi-même donneront une série presque parfaite des oiseaux » s'enorgueillit Darwin dans ses Zoology Notes. Commençons donc par les Rapaces. Darwin observe la Buse des Galapagos (Buteo galapagoensis), endémique comme son nom l'indique ; ainsi que deux Hiboux également présents sur le continent, non endémiques pour leur part. Il énumère également un Roitelet (taxon non précisé), une Tourterelle des Galapagos (Zenaida galapagoensis) et une Hirondelle sombre (Progne modesta); tous distincts de leurs espèces cousines du continent. Notre jeune naturaliste note aussi trois espèces de Gobe-Mouches : le Moucherolle des Galapagos (Pyrocephalus nanus), le Tyran des Galapagos (Myiarchus magnirostris), et le Moucherolle de San Cristobal (Pyrocephalus dubius). Ce dernier est une espèce désormais éteinte, dont Darwin fut l'un des derniers observateurs. Il rapporte aussi dans ses Zoology Notes le Goglu des prés (Dolichonyx oryzivorus), commun sur le continent ; ainsi que trois espèces endémiques d'oiseaux moqueurs : Mimus parvulus, Mimus trifasciatus et Mimus macdonaldi.

Pour les oiseaux d'eau, limicoles et petits échassiers, Darwin précise s'être procuré onze espèces. Mais il livre peu de notes à leur sujet. Il cite le Chevalier semipalmé (Tringa semipalmata), qui hiverne au Nord du Chili, ainsi que le Râle des Galapagos (Laterallus spilonota) et la Mouette obscure - ou Goéland de lave en anglais (Leucophaeus fuliginosus) - endémiques tous les deux. « Si l’on considère les habitudes errantes des goélands, on est tout surpris de voir que l’espèce qui habite ces îles leur est particulière » Charles Darwin, Voyage d'un Naturaliste autour du Monde. Étonnamment, Darwin ne parle pas du Cormoran aptère des Galápagos (Nannopterum harrisi), la fameuse star aviaire du film Master and Commander (2003) ! En réalité, ce célèbre Cormoran endémique ne sera décrit pour la première fois qu'en 1897 par le naturaliste Charles Miller Harris.

Abordons enfin les fameux Pinsons de Darwin ! Comme précisé en début d'article, il n'est pas question ici de discuter de la théorie de la sélection naturelle, le lecteur intéressé consultera aisément des ouvrages de biologie de l'évolution. Mais de revenir sur la chronologie de leur découverte. Au cours de l'escale de septembre-octobre 1835, la collecte de ces célèbres spécimens fut confiée à Syms Covington, son assistant à bord du Beagle. Chaque spécimen est étiqueté en fonction de son île de prélèvement sur l'archipel. Darwin était alors bien plus absorbé par ses relevés géologiques, dont il fit la synthèse dans l'ouvrage « Geological Observations on the Volcanic Islands » (1844). En bon naturaliste, il ne manqua pas cependant de relever ses propres observations aviaires. Pour autant, ses Zoology Notes demeurent la synthèse de ces remarques sur le terrain ; le véritable travail d'interprétation ne commença qu'une fois de retour en Angleterre.



Illustration de Gould publiée dans le Voyage d'un Naturaliste autour du Monde de Charles Darwin (2nde éd., 1845)


Darwin n'était pas très versé en ornithologie, aussi les pinsons naturalisés furent confiés, comme les autres spécimens d'oiseaux, à John Gould. Le célèbre ornithologue anglais exposa ses premières conclusions dès le 10 janvier 1837 devant la Société Zoologique de Londres, et déclara que parmi les spécimens des Galápagos, figuraient « une série de pinsons terrestres si particuliers qu'ils forment un groupe entièrement nouveau, comprenant 12 espèces ». Le travail de Gould est remarquable, et les illustrations que Darwin insère dans son Voyage d'un Naturaliste autour du Monde sont sans équivoques sur l'intérêt scientifique de ces taxons : « Les autres oiseaux de terre forment un groupe très singulier de moineaux ressemblant les uns aux autres par la conformation de leur bec, par leur courte queue, par la forme de leur corps et par leur plumage. Il y en a treize espèces que M. Gould a divisées entre quatre sous-groupes. Toutes ces espèces sont particulières à cet archipel ; ainsi d’ailleurs que le groupe tout entier, à l’exception d’une espèce du sous-groupe Cactornis » Charles Darwin, Op. Cit. Le travail d'investigation ornithologique effectué en compagnie de John Gould au cours de l'année 1837 confirme l'hypothèse d'espèces distinctes, et non de variations intraspécifiques. Progressivement, Darwin s'oriente sur la piste d'une gradation à partir d'une seule espèce originelle : « Quand on considère cette gradation et cette diversité de conformation dans un petit groupe d’oiseaux très-voisins les uns des autres, on pourrait réellement se figurer qu’en vertu d’une pauvreté originelle d’oiseaux dans cet archipel, une seule espèce s’est modifiée pour atteindre des buts différents » Charles Darwin, Op. Cit. La voie est déjà toute tracée jusqu'à la publication de ''L'Origine des Espèces''.

Commentaires

Articles les plus consultés en ce moment :

[1832] Darwin découvre le site fossilifère de Punta Alta

Darwin était-il un autiste Asperger de haut niveau intellectuel ?

[1835] FitzRoy et les Pinsons de Darwin, un raté