[1835] Les Reptiles des Galápagos
« Examinons maintenant l’ordre des reptiles qui caractérise tout particulièrement la zoologie de ces îles ». Le chapitre du « Voyage d'un Naturaliste autour du Monde » consacré à l'archipel des Galápagos est particulièrement fourni en descriptions herpétologiques. Darwin, bien que se consacrant avant tout à la géologie de ces îles volcaniques, mit à profit cette escale aussi bien pour étudier leur faune que leur flore. Le paysage de tufs et de laves, peuplé d'abondants reptiles, lui laissa un souvenir frappant : « Le géologue, en considérant ce qui se passe dans l’archipel des Galápagos, se trouvera probablement malgré lui reporté à l’époque secondaire, alors que des lézards, les uns herbivores, les autres carnivores, dont les dimensions ne peuvent se comparer qu’à celles de nos baleines actuelles, habitaient en quantité innombrable et la terre et la mer » Charles Darwin, Op. Cit. Comme pour les autres spécimens herpétologiques du Voyage, Darwin en confia l'identification formelle à Thomas Bell, qui rédigea les fascicules dédiés de la « Zoologie du voyage du H.M.S. Beagle ».Mais examinons d'un peu plus près quels spécimens reptiliens reçurent le plus d'égards.
Les Tortues terrestres des Galapagos ont fortement marqué Darwin et FitzRoy, qui en parlent en détails dans leurs comptes-rendus respectifs. Nous retrouvons les mêmes informations que dans le Journal de Bord de notre jeune naturaliste. Ces tortues indigènes, alors encore abondantes sur l'archipel, sont hélas en régression car sur-chassées dès le XVIIIème siècle. Avant l'arrivée des Européens, on ne leur connaissait pour prédateurs que les Buses des Galápagos, qui se régalent des juvéniles une fois éclos. Les plus gros spécimens fournissent jusqu'à 200 livres de viande, une aubaine pour le ravitaillement des navires en escale ! Facile à abattre, l'animal est largement consommé, en viande fraîche comme en salaisons. L'huile de tortue est même récolté directement sur l'animal vivant ! Ces placides herbivores aiment l'humidité. Elles boivent d'énormes quantités d'eau, et se vautrent dans la boue. Les Espagnols suivaient même leurs traces afin de découvrir les sources d'eau potable. Darwin s'intéresse de près au comportement de ces tortues géantes. « J’ai surveillé moi-même une grosse tortue ; elle faisait 60 mètres en dix minutes, ce qui fait 360 mètres à l’heure ou environ 6 kilomètres et demi par jour, y compris un peu de temps pour lui permettre de manger en chemin. Pendant la saison des amours, alors que le mâle et la femelle sont réunis, le mâle fait entendre un cri rauque, espèce de beuglement que l’on peut entendre, dit-on, à une distance de plus de 100 mètres » Charles Darwin, Voyage d'un Naturaliste autour du Monde . La mesure de leur vélocité fit l'objet d'une gravure assez célèbre. Quant au cri d'amour du mâle, il est suffisamment repris sur les réseaux sociaux pour que vous en épargne un extrait ! Les femelles pondent en groupe, leurs œufs sont plus gros que ceux d'une poule. Malgré l'abondance des pontes, la destruction systématique des individus adultes déséquilibre les populations insulaires, qui s'effondrent courant XIXème siècle. Darwin rapporte que d'après le Gouverneur de l'île Charles, les Tortues géantes n'en avaient plus que pour 20 ans. Testudo nigra, la Tortue géante de Floreana, est désormais une espèce éteinte des Galápagos ...
Darwin s'intéresse également de très près aux deux espèces d'iguanes endémiques. « Il est fort intéressant, en somme, de trouver un genre bien caractérisé possédant une espèce marine et une espèce terrestre, et confinée dans une si petite partie du monde » Charles Darwin, Op. Cit. L'Iguane marin des Galápagos (Amblyrhynchus cristatus) est un remarquable lézard. Vous le connaissez peut-être en raison du clin d’œil adressé à notre cher naturaliste dans le film Master and Commander (2003). L'animal est déjà connu à l'époque du Voyage du Beagle. Extrêmement commun dans l'archipel, il fut décrit par le capitaine Collnet à la fin du XVIIIème siècle. L'officier britannique était déjà interloqué par les mœurs aquatiques de cet iguane, qu'il comparait à un alligator miniature ! Il faut dire qu'assez pataud sur terre, il devient un nageur rapide et habile une fois dans l'eau. L'expérience de tentative de noyade d'un iguane attaché à un gros poids par un marin du Beagle est une anecdote du Voyage restée célèbre : « Un matelot attacha un gros poids à un de ces animaux pour le faire couler, pensant ainsi le tuer immédiatement ; mais quand, une heure après, il le retira de l’eau, le lézard était aussi actif que jamais » Charles Darwin, Op. Cit. Nul doute que l'espèce est adaptée à la plongée. Le jeune naturaliste procéda à l'autopsie de plusieurs iguanes. Leurs estomacs contenaient une algue marine (Ulvae). Il s'agit en effet d'un lézard herbivore, capable de plonger pour brouter sa pitance au fond de l'eau. Darwin suppose qu'il n'a aucun autre prédateur que les requins ; il n'eut pas occasion d'observer les Serpent coureurs des Galapagos (Pseudalsophis biserialis) à la curée de jeunes iguanes éclos.
Darwin ne manque pas de comparer l'Iguane marin à son cousin terrestre, Amblyrhynchus Demarlii (désormais connu sous le nom scientifique de Conolophus subcristatus). Également endémique de l'archipel des Galápagos, il était autrefois très commun sur les îles visitées par le Beagle. Les répartitions géographiques entre les deux espèces sont très nettes : au lieu de se retrouver sur toutes les îles comme son cousin marin, l'iguane terrestre n'occupe que les parties centrales de l'archipel. « Comme leurs cousins de l’espèce marine, ce sont des animaux fort laids ; le dessous de leur ventre est jaune orangé, leur dos rouge brunâtre ; leur angle facial, extrêmement petit, leur donne un aspect particulièrement stupide. Ils sont peut-être un peu moins grands que les individus de l’espèce marine ; cependant j’en ai trouvé plusieurs pesant de 10 à 15 livres. Leurs mouvements sont lents et ils semblent presque toujours plongés dans une demi-torpeur. Quand ils ne sont pas effrayés, ils rampent lentement, leur queue et leur ventre traînant sur le sol. Ils s’arrêtent souvent et semblent s’endormir pendant une minute ou deux, les yeux fermés et les pattes de derrière étendues sur le sol brûlant ». Charles Darwin, Op. Cit. Ils sont herbivores, se nourrissant de feuilles d'acacia et de fruits de cactus. Darwin autopsie quelques spécimens, leurs estomacs sont remplis de fibres végétales. Contrairement aux iguanes marins qui se regroupent sur les rochers côtiers, les iguanes terrestres habitent des terriers qu'ils creusent eux-mêmes. Darwin tente de comparer plus en détails leurs modes de reproduction ; mais à l'époque du Voyage du Beagle, on ignore totalement comment pondent les iguanes marins ! Ce qui paraît étonnant, les colons de Floreana étant friands d’œufs d'iguanes.
De même que les fameux Pinsons des Galápagos, les Reptiles de l'archipel se révèlent de remarquables indices de l'évolution des espèces. Ce « hot spot » de la biodiversité regorge d'éléments d'études, que Darwin n'eut guère le temps d'explorer plus en détails au cours de l'escale du Beagle. Peut-être son esprit scientifique n'était-il pas totalement réceptif au cours du séjour, comme il le confessa dans le « Voyage d'un Naturaliste autour du Monde » : « C’est le vice-gouverneur, M. Lawson, qui a appelé mon attention sur ce fait ; il m’a affirmé que les tortues différaient sur les différentes îles et qu’il pouvait dire avec certitude de quelle île provenait telle tortue qu’on lui apportait. Malheureusement je négligeai trop cette affirmation dans le principe et je mélangeai les collections provenant de deux des îles ». Toujours est-il que ses observations et spécimens rapportés contribuèrent, une fois de retour en Angleterre, à maturer sa propre théorie de transmutation des espèces.
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