[1833] Les tubes de foudre de Darwin
Au cours de sa découverte, Darwin décrit avec précision ces formations minérales. Il remarque d'abord des fragments amorphes sur le sable, et comprend rapidement qu'il s'agit de tubes siliceux mis à nu par le mouvement naturel des dunes côtières. Puis, trouvant d'autres concrétions similaires encore cachées dans le sable, il prend soin d'en déterrer plusieurs afin de les étudier avec attention. L'aspect vitrifié de ces tubes enfoncés à la verticale dans le sable ne lui échappe pas. L'aspect ramifié de ces tubes l'intrigue également, et il ne tarde pas à interpréter correctement ces magnifiques morceaux de silice amorphe. Il ne s'agit en rien de traces animales ou végétales, mais bien des traces d'impact de la foudre sur ces dunes côtières.
Darwin l'écrit sans ambiguïté : « Je ne vois aucune cause ayant pu provoquer ces curieux tubes, à l'exception des éclairs » Charles Darwin, Notes Zoologiques. Subjugué par le nombre impressionnant de ces traces d'impact, il ne peut que s'étonner de la puissance du "fluide électrique" à travers le sable. Bien que n'étant pas physicien de formation, il interprète correctement les ramifications de ces fulgurites comme étant l’œuvre d'un seul impact de foudre. En effet lors de l'impact au sol, il se libère une énergie estimée à un milliard de Joules. Le sable est localement chauffé à plusieurs milliers de degrés Celsius, provoquant la fonte, voire même la vaporisation des matériaux siliceux le long de la trajectoire d'impact. Le résultat est des plus spectaculaires, donnant des tubes de silice amorphe creux d'un diamètre de 5 à 20 mm et longs de plusieurs centimètres.
Exemple de fulgurite naturelle du Sahara (a) et structure interne (b). In : Çalışkanoğlu et al., 2023. |
Ces structures minérales sont, pour les climatologues et géologues actuels, de précieux témoignages environnementaux passés. Pour Darwin, leur présence souligne la fréquence et l'intensité des orages dans le Rio de la Plata, dont il fut lui-même témoin. Dans son ouvrage "Voyage d'un naturaliste autour du Monde", Darwin revient en détails sur ces fameux tubes de foudre de la lagune del Portrero. Il rapporte notamment que le phénomène a pu être reproduit en laboratoire, confirmant ainsi l'origine météorologique de ces tubes de silice amorphe. La surface interne, complètement vitrifiée, est recouverte de couches siliceuses présentant un gradient de fusion partielle à mesure que nous examinons l'aspect externe des tubes. Darwin eut par ailleurs le privilège d'observer sa propre variante de fulgurites, sous forme de concrétions ramifiées (voir dessin ci-dessous). Cependant, l'origine géophysique de ces impacts l'intrigue. Il s'interroge notamment sur le rôle de l'eau salée dans ces formations.
« D’après les faits que j’ai pu relever dans bien des relations de voyages, je suis porté à croire que les orages sont fort communs auprès de l’embouchure des grands fleuves. Serait-ce que le mélange de quantités considérables d’eau douce et d’eau salée trouble l’équilibre électrique ? » Charles Darwin, op. cit.
Pas de chance cependant, son hypothèse ne s'est pas révélée pertinente pour mieux comprendre le phénomène. Mais soulignons cependant que l'analyse de l'air piégé dans certaines fulgurites sert à collecter des données paléoenvironnementales. Aussi le lien qu'il trace entre la météorologie particulière du Rio de la Plata et ces fulgurites n'était pas si inintéressante que cela !
Dessin de fulgurite déterrée sur le littoral de Maldonado (Darwin, 1833). |
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