[1833] Une excursion dans la pampa uruguayenne (1/3)

Le 4 novembre, Darwin a pu quitter Buenos-Aires alors que la tension militaire est quelque peu retombée. Il a regagné Montevideo et le HMS Beagle pour le trouver en plein travaux d'entretien. Les ouvriers s'affairant dans la cabine de la dunette et Darwin n'étant pas chargé d'intégrer les données cartographiques recueillies par les deux goélettes louées, il préfère déserter les lieux avant que le brick-sloop ne reprenne la mer. Dès le 5 novembre, il s'installe donc en ville et s'échine à préparer une excursion à l'intérieur des terres. Mais outre le matériel, les chevaux, un guide et des vivres, il doit aussi lutter contre l'administration locale récalcitrante afin d'obtenir un passeport et un laisser-passer.

Le temps d'organiser tous ses préparatifs, nous sommes le 13 novembre 1833. Entre-temps, Darwin s'occupe en visitant les Barrancas de St Gregorio (falaises de San Gregorio aussi appelées falaises de Kiyú sur les guides touristiques) et traverse le Rio Lucia en canot. La géologie du site le laisse de marbre. Et pourtant, les falaises côtières de Kiyú sont d'importants indices géologiques pour la région (Aguilar et al., 2011). Elles sont composées de couches de roches sédimentaires et constituent d'importants indices sur l'alternance du niveau de la mer dans cette région. Nous y retrouvons ainsi des bandes sédimentaires de dépôts marins et de dépôts fluviaux et éoliens. Les datations relatives englobent une période géologique allant entre 1 et 10 Ma.


Falaise de Kiyú (cliché de Aguilar et al., 2011)


Il est ainsi possible d'identifier un empilement de couches sédimentaires de mudstone (à l'origine des dépôts d'argile et de boue), de siltite (anciens dépôts limoneux) et de grès (anciens dépôts de sable pouvant être, comme c'est le cas ici, d'origine marins). Mieux encore, il s'agit d'un important site fossilifère duquel ont été extraits des ossements de Glyptodon Paresseux géant ! Avec un tel portrait aussi attrayant, il est étonnant que Darwin se soit déclaré déçu par le site. Cependant, nous mettrons ce jugement discutable sur le compte du manque de temps pour mener à bien de véritables fouilles paléontologiques.

Le 14 novembre 1833, c'est enfin le jour du départ. Darwin et son guide chevauchent jusqu'au Rio Uruguay et son affluent, le Rio Negro. Partis l'après-midi, ils couchent d'abord dans la maison de son guide, à Canelones. Le lendemain matin, les deux hommes ont bon espoir de parcourir une distance respectable. Mais les fleuves sont en crue et il leur faut franchir en bateau les Rio Canelones, Rio Santa Lucia et Rio San José. Une regrettable perte de temps selon Darwin, qui les oblige à coucher au relais de poste de Cufrè. C'est durant cette étape que Darwin nous dépeint le tableau de paysans traversant le fleuve à cheval, entièrement nus, agrippés à leurs montures comme sur des bas-reliefs grecs. N'y voyez aucune connotation subjective.

Le 16 novembre 1833, Darwin est souffrant et demeure au relais de poste. Peut-être un des tous premiers signes de la maladie qui le terrassa tout au long de sa vie. Il en profite pour corriger sa vision de la pampa uruguayenne, qu'il ne considère plus comme une morne plaine plate, mais lui reconnaît désormais son relief ondulé et marqué par l'érosion fluviale. N'oublions pas que durant son Voyage, la géologie occupa la majeure partie de son temps. Aussi son regard s'évertuait à déchiffrer le plus fidèlement possible le paysage géologique qui l'entourait, non sans pour autant se hasarder à quelques commentaires que nous pourrions étiqueter de nos jours comme de l'écologie du paysage.






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