[1833] Une excursion dans la pampa uruguayenne (3/3)

Le 21 novembre 1833, Darwin et son guide reprennent leur périple à cheval. La végétation change bien qu'ils longent le Rio Uruguay ; les champs de chardons et de cardons remplacent les bosquets d'acacias. Darwin en conclue que la nature géologique du sol a donc changé ! La région est très peu peuplée, en raison de ces buissons piquants défavorables pour le pâturage des bovins. Ils dorment dans un rancho, espérant atteindre rapidement leur destination.

Fort heureusement, la suite du voyage n'est que de courte durée. Le 22 novembre, les voilà arrivés à l'estancia du Berquelo. Il s'agit de la propriété d'un Anglais, pour lequel Darwin a une lettre d'introduction. Comme ce compatriote britannique ne reviendra que dans la soirée, Darwin en profite pour faire de la géologie aux alentours. Nous n'en saurons pas plus sur cette fameuse soirée si ce n'est que Darwin fut très probablement convié pour la nuit. Le lendemain 23 novembre 1833, Darwin et son guide arrivent enfin à Mercèdes (Capilla Nueva). D'un point de vue élevé du village, Darwin admire le Rio Negro, affluent du Rio Uruguay. Les eaux bleutées de la rivière le séduisent, et il ne peut s'empêcher de le comparer avec son homonyme, qu'il a traversé quelques mois plus tôt dans la Pampa argentine méridionale. Le 24 novembre, chevauchée aux alentours de Mercèdes jusqu'au Cerro de los Claveles (nom actuel de la localité). Darwin effectua durant ce voyage terrestre plusieurs observations géologiques importantes, qui seront développées dans un prochain billet. Lui et son guide s'abritent ensuite pour la nuit le plus naturellement du monde dans un rancho laissé vacant par son propriétaire, profitant de l'âtre pour y faire cuire une pièce de bœuf. Cette vie simple, rude mais libre, enchante une fois de plus Darwin.

Les 25 et 26 novembre 1833, Darwin entend parler de fragments d'os d'animaux. La découverte de fossiles est assez courante dans la région, mais ceux-là semblent appartenir à des spécimens géants. En effet, il s'avère que ce sont des fragments d'os de Mégathérium. Il en déterre aussi quelques-uns sur place et achète même un fragment de crâne pour quelques shillings. Dans son Journal de Bord, il ne fait pas de doutes pour Darwin qu'il s'agit d'un crâne de Mégathérium. Mais quelques années plus tard et après l'examen minutieux de ses collections paléontologiques, Darwin revint sur son identification dans son Journal of Researches. Il s'agit en réalité d'un crâne de Toxodon. Ce Mammifère géant herbivore et amphibie à la manière des hippopotames apparut au Miocène sur le continent sud-américain. Son extinction remonterait au plus tôt à 12 000 ans avant notre ère ; les données qui proposaient autrefois une survivance de l'espèce jusqu'au début de l'Age de Bronze étant désormais remises en doute (Politis et al., 2019).


26 novembre. — Je pars pour revenir en droite ligne à Montevideo. Ayant appris qu’il y avait quelques ossements gigantesques dans une ferme voisine sur le Sarandis, petit ruisseau qui se jette dans le rio Negro, je m’y rends accompagné de mon hôte et j’achète pour 18 pence une tête de Toxodon. Cette tête était en parfait état lorsqu’on la découvrit ; mais des gamins brisèrent une partie des dents à coups de pierres ; ils avaient choisi cette tête comme but.

Charles Darwin, Voyage d'un Naturaliste autour du Monde (1839)



Le crâne de Toxodon, dessin réalisé pour la Zoologie du voyage du HMS Beagle.



Reconstitution artistique d'un Toxodon platensis (1903). 


Mais pas le temps de rechercher plus de fossiles. Darwin et son guide sont déjà sur le chemin du retour, galopant en ligne droite depuis Mercèdes jusqu'à San José, un village rural situé sur le chemin emprunté à l'aller. Le pays est aussi rude que son paysage. Dans un relais de Poste, le tenancier complètement ivre croit que Darwin est espagnol et le menace de mort. Notre jeune naturaliste qui ne comprend rien à l'affaire, se fait expliquer la situation par son guide. Mais quelles étaient les intentions réelles de cet indien ivre ? Peut-être de tester la loyauté du guide de Darwin, afin d'estimer ses chances de larcin. Heureusement pour notre jeune naturaliste, son guide l'entraîne en sécurité, loin de là. La nuit, il y eut des torrents de pluie. Le vent est si violent que le misérable rancho découvert ne peut les abriter correctement. Ils passent la nuit trempés jusqu'à l'os. Un pays libre, mais rude. Darwin découvre le revers de la médaille.

Le 27 novembre 1833, arrivée à San José, et poursuite sur la route prise durant le voyage aller. Enfin le 28 novembre, les deux hommes sont de retour à Montevideo. C'est la fin de leur périple à cheval. Le bilan de cette excursion terrestre est aussi riche sur le plan naturaliste que dans ses descriptions du monde rural uruguayen. Nous retrouvons, sous la plume de Darwin, une société construite autour de la figure du Gaucho. Comme en Argentine, ce « cow-boy d'Amérique du Sud » est fortement inféodé à sa profession de gardien de troupeaux et a adopté la vaste pampa comme foyer. Les Gauchos y vivent tels des personnages d'un western ; ils ont leur propre code d'honneur, sont prompts à faire couler le sang et les vols y sont monnaie courante. « Il est navrant d'entendre le nombre de vies perdues dans des querelles insignifiantes » Charles Darwin, Journal de Bord. La dureté du travail alors que tant de ressources sont à portée de main, la profusion d'armes et d'alcool, l'absence de forces de l'ordre en-dehors des grandes villes, leurs coutumes consistant à ne jamais rien entreprendre lorsque la Lune décroît, tous ces facteurs contribuent selon Darwin à ensauvager la société Gaucho. Notre jeune naturaliste admire autant cette figure d'homme (et de femme) libre qu'il honnit cette anarchie sauvage qui dicte leur conduite.




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