[1834] Les naufragés de Chonos
Le 28 décembre 1834, la météo permet enfin au HMS Beagle de quitter son mouillage. Les derniers jours de Noël n'ont point été aussi joyeux que l'année précédente. La veille s'est révélée riche de rebondissements, comme nous allons le voir ensemble. Après avoir relevé les côtes sur près de 40 milles, le Beagle rejoint prudemment l'excellent havre de Christmas Cove, où ils ont passé Noël. Une fois l'ancre jetée, l'équipage aperçoit un homme agitant sa chemise. Le Capitaine ordonne de mettre à l'eau une embarcation, qui revient avec deux pauvres malheureux.
Il s'agit de deux marins nord-américains, qui à cause de mauvais traitements, s'étaient enfuis de leur navire en pleine mer et avaient rallié par leurs propres moyens les côtes situées à près de 130 kilomètres ! Le petit groupe comprenait alors cinq hommes : cinq marins et l'officier de quart qui avait profité du quart de minuit pour mettre discrètement à l'eau une embarcation du navire, emportant avec eux une semaine de vivres. Les cinq fugitifs avaient alors pour espoir de rallier Valdivia, mais au premier contact avec la côte, leur embarcation s'était brisée. Ces événements remontaient déjà 15 mois en arrière lorsque le Beagle les découvre sur ces terres désolées.
Depuis, ces pauvres naufragés avaient erré le long de la côte, incapables de s'orienter correctement. Pire encore, ils ignoraient totalement qu'ils se trouvaient non loin de l'archipel de Chiloé ! La fortune leur fut cependant favorable, et ils étaient bien présents à Christmas Cove au Nord de l'archipel de Chonos en ce 27 décembre 1834 ! Trois ans après son départ de Plymouth, le HMS Beagle sauve des marins naufragés au beau milieu de la côte chilienne. Darwin comprend que le campement qu'il avait découvert lors de sa dernière excursion à terre n'était autre que le campement d'un de ces pauvres marins : le groupe s'était alors séparé pour couvrir une plus large superficie. Heureusement, ils s'étaient ralliés en ce jour ; aussi l'embarcation n'eut aucun mal à ramener trois autres marins à bord. Un seul naufragé mourut sur l'île quelques mois auparavant, il avait chuté du haut d'une falaise.
Jamais Darwin ne vit de désir plus ardent de marins alors que l'embarcation allait les chercher ! Ils se jetèrent à l'eau de toutes leurs forces pour monter dessus avant qu'elle n'accoste. Leur condition physique semble cependant correcte. Ces hommes ont fort bien survécu à ces terribles mois de naufrage, établissant des campements organisés et faisant preuve d'un excellent sens de la survie. Ils chassaient avec succès des phoques, et parvenaient à fumer leur viande pour la conserver le plus longtemps possible. Jamais ils n'avaient manqué de bois ni de feu. Ils avaient des couteaux et des hachettes et même conservé un vieux livre pour les divertir durant leurs rares moments de loisirs. Seule ombre au tableau, ils avaient échoué à fabriquer des pirogues. Leur moral semblait assez bon, sauf pour le malheureux accidenté ; d'après ses compagnons, l'infortuné avait perdu tout espoir de retrouver la civilisation et sa chute serait un suicide.
Pour quelles raisons exactement ces six hommes quittèrent l'équipage du baleinier ? Darwin ne le sut jamais vraiment. Leur récit semble quelque peu obscur. Ils n'étaient pas plus mal traités que sur les autres navires chasseurs, mais semblaient regretter leur engagement. Ou bien avaient-ils soif d'aventure ? Toujours est-il que leur choix, aussi périlleux que mal préparé, aurait pu leur coûter la vie s'ils n'avaient pas croisé le chemin du HMS Beagle !
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Gravure de Jules Noël tirée de : Zurcher & Margollé, Les Naufrages célèbres (1877) - Canot de sauvetage en mer |
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