L'armement naval du HMS Beagle
Le 26 juin 1832, Darwin se prépare au proche départ du HMS Beagle. L'équipage est en partie renouvelé. A son grand désarroi, car Darwin s'était habitué à ne croiser à bord que des têtes familières. Il lui faut également se réhabituer aux rythmes de vie du navire, après ces semaines passées à terre. Mais d'autres changements marquent aussi l'attention de Darwin, et notamment ceux apportés à l'armement naval du navire.
« Il y a eu plusieurs modifications sur le navire ; entre autres nous avons deux longs canons de neuf [livres], ce qui nous rendra beaucoup plus indépendants » Charles Darwin, Journal de Bord. Le Capitaine FitzRoy craint-il pour la sécurité de l'expédition alors qu'il prévoir de faire voile vers le Sud ? Cela semble le cas, et non sans raisons, comme nous allons le voir ci-dessous.
En tant que Brick-sloop de classe Cherokee, le HMS Beagle possédait initialement 10 pièces d'artillerie. Mais une fois démilitarisé et converti en navire d'exploration, son armement naval fut réduit à 6 pièces seulement, vraisemblablement des canons de 6 livres. Ces informations nous sont confirmées dans le volume premier des Narratives de Price & FitzRoy, qui relate la première expédition du Beagle en Amérique du Sud. Dans son Journal de Bord, Darwin note aussi que deux canons de 9 livres sont ajoutés à l'armement du Beagle avant son départ de Rio de Janeiro.
Mais n'étant pas officier de la Royal Navy, Darwin n'en dit pas plus sur cette mise à jour de l'armement naval du HMS Beagle. Il se contente cependant d'en justifier les raisons, notamment le choix de ces canons de 9 livres, parfaits selon lui pour qu'en « plusieurs occasions de très petits vaisseaux en endommagent gravement de plus gros » Charles Darwin, op. cit. Mais revenons sur cette soudaine prudence. Comme nous verrons par la suite, les états méridionaux d'Amérique du Sud traversent alors une période de crises politiques et de guerres civiles. Nous sommes en pleins épisodes de Guerres civiles argentines (1814-1853) ; tandis qu'en Uruguay, Manuel Oribe et Fructuoso Rivera se disputent le pouvoir. Ce climat d'instabilité fait notamment redouter au capitaine FitzRoy l'approche des côtes méridionales du sous-continent américain.
Une autre raison provient certainement de l'instabilité des îles Malouines, qui profita au coup de force de la marine britannique pour s'en assurer la souveraineté au nez et à la barbe de l'Argentine. Le casus belli des Malouines perdura d'ailleurs longtemps entre les Provinces-Unis du Rio de la Plata (la future Argentine) et l'Angleterre, comme l'Histoire nous l'enseigna. Le capitaine FitzRoy entendait donner plus de poids militaire à son navire d'exploration probablement pour cette raison supplémentaire, d'autant plus qu'il fut amené à confirmer la possession des îles Malouines en 1833.
Dès lors que FitzRoy décida de réviser l'armement naval du HMS Beagle, il en fit ultérieurement une description détaillée dans son second volume des Narratives (vol. II, p. 82). Alors que le HMS Beagle mouille au port de Rio de Janeiro, son capitaine ordonna les changements suivants :
- Sur le gaillard d'avant, une caronade de navire de six livres.
- Devant le coffre, deux canons en laiton de six livres.
- À l'arrière du mât principal, quatre canons en laiton : deux pièces de neuf livres et deux pièces de six livres.
Caronade de 12 livres du XIXème siècle - gravure d'auteur inconnu. |
Quels sont les avantages de ce nouvel armement naval ? Le HMS Beagle peut désormais tirer plus loin, envoyer sur ses cibles des boulets de 9 livres plus destructeurs, et même potentiellement engager l'ennemi avant qu'il ne soit à portée de tir. Mais surtout, avec ces deux canons de neuf livres, FitzRoy pourra bluffer l'adversaire à son avantage. L'assaillant alarmé par des tirs de 9 livres considérera que le HMS Beagle cache bien son jeu et peut se révéler bien plus dangereux que supposé. Un coup de poker dissuasif qui peut jouer à l'avantage de FitzRoy. Supposez que vous souhaitez capturer un navire d'exploration anglais. Vous voyant approcher, le Beagle ouvre ses sabords et vous envoie une bordée de boulet de neuf livres juste devant votre étrave. Vous reconsidérez précipitamment votre entreprise et décidez de laisser prudemment filer votre proie.
Enfin, FitzRoy peut même repositionner ses canons et tirer à distance pour couvrir sa fuite devant un adversaire trop coriace, qui lâchera la poursuite de peur de tirs de boulets de 9 livres trop chanceux. Un peu de "self défense" en mer n'a jamais fait de mal. Et si le pire arrivait, à savoir un abordage, la caronade est une pièce d'artillerie de courte portée redoutable pour la défense d'un navire. De quoi réduire en charpie un équipage hostile.
Le HMS Beagle vient en paix dans les eaux d'Atlantique Sud, mais ne manquera pas de tirer le premier si besoin. Qu'on se le dise, l'équipage n'est pas français ! Dans les prochains mois, nous verrons si la prudence du capitaine FitzRoy se justifia. Si vis pacem para bellum, même en mer.
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