Léonard Darwin et le Transit de Vénus

Le Siècle des Lumières fut aussi marqué par la première grande coopération scientifique internationale, le suivi du Transit de Vénus entre les 3 et 4 juin 1769. Cet événement astronomique, alors visible dans sa totalité le long de l'océan Pacifique occidental, de la moitié orientale de l'Asie jusqu'en Alaska, était considéré comme un événement scientifique majeur. En effet, son suivi précis par différents observateurs répartis autour du monde permettait, à condition de mesures précises, de calculer la valeur d'une unité astronomique (U.A.), soit la distance de la Terre au Soleil.

Fruit d'une coopération politique et scientifique sans précédents, le Transit de Vénus fut observé 151 fois depuis 77 positions géographiques différentes. Si nous connaissons le premier voyage réussi du capitaine Cook à Tahiti, d'autres expéditions connurent hélas moins de succès. Ce fut le cas de l'astronome français Guillaume le Gentil, ayant raté le Transit de 1761, parvint péniblement à Pondichéry en 1769 pour se heurter à un ciel nuageux. Lorsqu'il rentra enfin chez lui en octobre 1771, ce fut pour découvrir qu'il avait été déclaré mort, son siège à l’Académie royale des sciences investi par un remplaçant, et sa femme remariée !

Mais en ce 3 juin 1832, Darwin n'a guère de pensée pour les 63 ans de cette folle aventure de Vénus. Il est également très loin de se douter que son fils Léonard entamerait un demi-siècle plus tard un voyage scientifique jusqu'en Nouvelle-Zélande à la poursuite du Transit. Mais qui était donc Leonard Darwin ? Huitième enfant (et quatrième fils) des époux Charles et Emma Darwin, il naquit le 15 janvier 1850 à Down, dans la maison familiale des Darwin. Leonard fut bercé durant toute son enfance par les récits de voyage de son père. Souffrant peut-être du syndrome de l'imposteur, il se présentait lui-même comme le moins intelligent des quatre fils Darwin. Et pourtant, son parcours scientifique fut celui d'un brillant ingénieur et scientifique perspicace.

Avide d'aventure et ayant hérité du solide esprit cartésien paternel, il rejoint le Corps des Ingénieurs Royaux en 1871. Il servit ensuite dans l'Intelligence Division des années 1877 à 1882. Sa double compétence d'ingénieur militaire et de scientifique lui ouvrirent de nombreuses portes, et pas des moindres ! Léonard put même renouer avec l'esprit des grandes expéditions naturalistes de son père qui avaient bercé son enfance. En 1874, il fut chargé de photographier le Transit de Vénus de 1874. Puis en 1882, il dirigea l'expédition d'observation du nouveau Transit de Vénus en Nouvelle-Zélande. Hélas pour cette seconde expédition, le ciel fut nuageux et aucune observation ne put être réalisée depuis sa localisation.

De retour en Angleterre, Leonard finit sa carrière militaire au grade de Major et se lança dans la politique de 1892 à 1895. Ses principaux centres d'intérêt concernaient l'économie de l'Empire britannique. Mais en 1912, Leonard Darwin devint le Président de la Royal Geographical Society et reçut un Doctorat honoris causa en sciences. Cette nouvelle position lui fut forte utile pour faire prospérer l'héritage naturaliste de son illustre père, Charles Darwin. A la fois mécène, mentor et ami du statisticien Ronald Fisher, Léonard Darwin contribua indirectement à l'édification de la biologie moderne de l'évolution alors que le darwinisme rencontrait la génétique et les statistiques.

En 1929 pour l'élection d Fisher à la Royal Society, léonard lui écrit : « Je savais que vous seriez heureux, et votre plaisir me fait du bien : c'est presque comme si mon père était encore en vie ». Au-delà du triomphe de la génétique des populations, cette étape gravait définitivement le darwinisme au cœur de la biologie moderne. L'ultime étape de ce cheminement scientifique devait s'opérer quelques années plus tard, en 1953, lorsque Watson et Crick publièrent la structure moléculaire de l'ADN, molécule support de l'information génétique.

Que de chemin parcouru depuis le Voyage de Charles Darwin à bord du HMS Beagle. Notre jeune naturaliste, tout absorbé à sa tâche, aurait bien été incapable de se douter qu'il ouvrait la voie à deux siècles de progrès scientifiques fondamentaux !

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