[1831] Un Noël à bord du Beagle
Le 25 décembre 1831, jour de Noël à Plymouth. Le HMS Beagle n'est toujours pas parti, et ce après plusieurs faux départs. Darwin s'impatiente. Le matin de Noël, il se rend à l'église. Le prédicateur n'est autre que Hoare, un ami de Cambridge. L'après-midi à 4 heures, dîner avec les aspirants depuis leur poste accolé au mât principal du navire. S'il apprécie leur compagnie, il ne peut que se féliciter de vivre relativement isolé dans la salle des cartes de la dunette, avec pour seul voisin le capitaine FitzRoy.
Marins de la Royal Navy du début du XIXe siècle chantant pendant qu'ils ne sont pas en service. Illustration de George Cruikshank, 1841. |
La promiscuité des aspirants dans cet espace aux dimensions restreintes, les inévitables tensions qui règnent entre eux (rappelons que tous sont en compétition pour leurs épreuves finales et leurs futures affectations en tant que lieutenants de la Royal Navy) pèsent tout de même sur l'ambiance en leur compagnie. Je vous renvoie pour plus de détails à l'article de blog que j'avais rédigé à ce sujet : "Créer des liens d'amitié avec ses futurs compagnons marins".
Le jour de Noël est toujours un événement particulier pour les matelots, puisqu'il s'agit du quasi-seul jour de congé. Ils peuvent alors se consacrer à leur guise aux réjouissances. Ce que ne vont pas manquer de faire les marins du HMS Beagle ! Seulement voilà, l'équipage a littéralement déserté le navire pour fréquenter les tavernes en ville, ou bien alors ceux restés à bord sont ivres morts. L'homme de garde a même déserté son quart en titubant. Il déclara qu'il ne voulait plus être de service, d'un ton certainement bien imbibé d'alcool, et s'apprêtait à rejoindre sa couchette. La sanction ne se fit pas fait attendre. L'ivrogne fut immédiatement saisi et mis aux fers le temps de dessaouler. Hélas pour lui, l'aspirant King fut obligé de monter la garde toute la nuit durant du 25-26 décembre.
Darwin ne peut que se renfrogner devant ces marins ivres le soir de Noël. Consacrer ses loisirs uniquement à la boisson ne fait qu'accentuer son dédain pour cette classe "inférieure". Rappelons que Darwin est issu de la bonne bourgeoisie britannique et que ses opinions sont plutôt conservatrices. Nous pourrions penser qu'il porte un regard hautain et assez méprisant vis à vis des hommes d'équipage issus d'une plus basse extraction. Mais il s'agit surtout d'une attitude de classe mêlée d'un vif dégoût pour l'ivrognerie.
Le lendemain, la situation de l'équipage n'est guère meilleure ! C'est une journée idéale pour prendre la mer. Hélas, les marins sont dispersés en ville ou encore ivres. Le capitaine FitzRoy ne peut tolérer une telle anarchie, surtout qu'elle compromet la date du départ au lendemain. Aussi décide-t-il de sévir un bon coup. Plusieurs matelots passent 9 heures aux fers, punis pour insolence. La leçon semble porter ses fruits puisque les fautifs finissent presque en larmes.
Mais le capitaine FitzRoy n'entend pas en rester là. Le 28 décembre 1831, au deuxième jour en mer après le départ (définitif !) du 27 décembre, il fit fouetter plusieurs hommes en punition de leur ivrognerie et de leur insubordination grave durant les fêtes de Noël. Darwin reste perplexe face à cette réprimande physique. Dans ses Narratives, le capitaine FitzRoy se justifie. "Haïssant, abhorrant les châtiments corporels, j'ai pourtant conscience que trop de comportements grossiers ne peuvent être réprimés sans eux". La punition lui semble d'autant plus indispensable qu'il entend faire régner la discipline dans ce navire récemment réarmé. « La certitude du châtiment, sans sévérité » FitzRoy cite le philosophe et juriste Beccaria. Pour le capitaine, la leçon doit être sévèrement apprise dès le départ. Il en va de la discipline à bord, mais aussi de l'immédiate exécution de ses instructions dès lors que le navire sera en mer. "Tant de choses dépendent souvent d'une décision immédiate, d'une obéissance instantanée et implicite" rappelle-t-il dans ses mémoires.
La scène du châtiment corporel dans le téléfilm de la BBC consacré au Voyage de Darwin (1978) |
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