[1831] Le mal de mer, principal ennemi de Darwin

Si un élément vint en partie gâcher le voyage de Darwin à bord du HMS Beagle, ce fut certainement sa terrible prédisposition au mal de mer. En effet, le jeune Charles de constitution fragile, craignait beaucoup ce terrible symptôme qui frappe aussi bien les marins que les passagers lors des périples maritimes. Le 3 décembre 1831, alors qu'il range encore ses affaires dans la cabine de la dunette, il évoque déjà à demi-mots sa crainte du fameux mal. Pour se changer quelque peu les idées, Darwin profite de la présence d'Erasmus, son frère, qui lui tint compagnie avant le départ définitif du HMS Beagle.

Mais dès lors que le navire mouilla dans la baie de Plymouth, le mauvais temps ne l'épargna pas complètement, même dans ce havre de paix. Durant la nuit du 3 au 4 décembre, pourtant, le roulis ne semble pas l'incommoder et Charles a "grand espoir d'échapper au mal de mer". Hélas, le vent du sud redouble de vigueur la nuit suivante, et les nausées apparaissent. Charles, abattu, décide de rentrer au port pour une bonne nuit à terre d'un sommeil réconfortant. Erasmus lui tient compagnie pour le dîner. Le 6 décembre 1831, la mer est trop mauvaise pour prendre le large. Darwin s'en réjouit, tant il souffre alors du mal de mer ! Il retourne une fois de plus dormir à terre : "je n'aurais pu, ne fût-ce que quelques instants, supporter le balancement si je n'avais été en plein travail". Notons que son frère Erasmus, une fois de plus, le soutient moralement en dînant le soir avec lui.

Le 10 décembre, nouvelle tentative du HMS Beagle pour prendre le large. La mer reste relativement calme tant que le navire navigue sous la protection physique du Môle. Erasmus, qui l'accompagne à bord jusqu'au fameux brise-vagues de Plymouth, débarque et le navire s'engage en-dehors de la protection physique du Môle. Changement radical, la mer s'agite violemment au-delà ! "je ne tardai pas à être malade". Le HMS Beagle poursuit sa route dans la tempête : "je fus affreusement malade". L'épreuve terrible se poursuit jusqu'au 11 décembre. C'est alors que le capitaine FitzRoy décide de rentrer au port, ne préférant pas tenter le diable dans ces conditions météorologiques. Retour au mouillage devant Barn Pool, pour le grand soulagement de Darwin
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Le HMS Beagle mouillait avant son départ, le 27 décembre 1831, entre la plage de Barn Pool (à gauche) et Devil's Point (presqu'île dans la continuité du port de Plymouth, en haut et au centre).

Les jours suivants ne vont pas aller en s'améliorant. Le 12 décembre 1831 : "je vois venir le mal de mer avec une véritable consternation, non pas tant du fait que j'aurai quinze jours ou trois semaines à souffrir, mais parce que je serai rendu incapable de toute activité pour beaucoup plus longtemps". Hélas, ses prédictions vont s'avérer exactes lors du départ définitif du HMS Beagle. Le 27 décembre 1831, jour célèbre dans le récit de ce voyage, Darwin ne souffre pas du mal de mer, à son plus grand soulagement. Réveillé le matin du 28 décembre avec un vent de 8 nœuds, il a aussitôt le mal de mer. Son malaise se manifeste par des vertiges, nausées, et vraisemblablement de violentes migraines ophtalmiques. Hélas, son état va se maintenir plusieurs jours de suite ! Le 30 décembre : "terriblement abattu et très malade". Le 31 décembre, un léger mieux. Il peut monter sur le pont et observe un Marsouin ainsi qu'une Océanite tempête en vol. Une accalmie lui permet de lire Humboldt tout en passant l'après-midi à bavarder avec le capitaine FitzRoy, étendu sur le sofa. Mais ce répit sera de courte durée. Le 1er janvier 1832 : "la nouvelle année s'est présentée à mes sens chagrins sous un jour lugubre. [...]. Ce jour-là et les trois suivants furent des jours de grandes et continuelles souffrances".

Régulièrement dans son Journal de Bord, Charles Darwin se plaindra du mal de mer. Mais le jeune naturaliste ne fut pas le seul à souffrir du mal de mer à bord ! Nous apprenons, les 28 et 29 mai 1833, que M. Wickham, Premier Lieutenant du HMS Beagle, était également sujet à ces désagréments. L'honneur est sauf. Au fait, savez-vous d'où vient ce terrible état nauséeux que même les marins endurcis redoutent ? Le mal de mer tire son origine physiologique d'une perturbation de l'oreille interne, où réside le mécanisme de l'équilibre humain. Les mouvements erratiques d'un navire voguant sur l'eau sont causes de confusion pour cet organe. A l'intérieur d'une cabine par exemple, l'oreille interne détecte les brusques accélérations horizontales ou verticales lorsque le bateau se déplace sur l'eau. Mais notre cerveau perçoit une scène relativement stable. Le désaccord manifeste entre les informations transmises par l'oreille interne et nos nerfs optiques crée une incongruité perturbant fortement le cerveau. Ce dernier va émettre alors une cascade d'hormones liées au stress, induisant nausées, vomissements et vertiges. Encore pire, les odeurs désagréables peuvent aggraver la situation, comme par exemple les fumées d'échappement des moteurs diesel d'un bateau, ou encore le fumet pénétrant du poisson pourri utilisé pour attirer les oiseaux pélagiques lors des séances de seawatching en haute mer !

Pour autant, Darwin essaya plusieurs méthodes susceptibles de soulager son mal de mer. Lorsqu'il est en crise, son estomac ne supporte que les biscuits et des raisins secs. Il mange aussi du Sagou (fécule alimentaire extraite de la pulpe du tronc du sagoutier), avec du vin et des épices, servi très chaud. Les fameux raisins secs seraient une médication de son père, le Dr. Robert Darwin. Et la méthode semblait porter ses fruits : "je n'ai rien trouvé d'autre que de rester allongé dans mon hamac qui me soulagea.— Je dois surtout excepter votre réception de raisins secs, qui est la seule nourriture que l'estomac supporte" (Correspondance de Darwin à son père, février 1832). La lettre du fils à son père fut reçue avec le meilleur accueil, puisque le Dr. Darwin se réjouissait ouvertement d'avoir pu soulager ainsi à distance son fils souffrant ! Peut-être était-il avant tout rassuré de savoir que son fils prenait soin de sa santé fragile.

Dans la correspondance de sa sœur Susan à Charles, nous apprenons : "Papa était très intéressé par votre misérable récit du mal de mer que vous aviez enduré, et pas peu fier de sa prescription de raisins secs répondant si bien. Je pense qu'il devrait publier une telle découverte au profit de tous ses malades". J'ignore si le bon Dr. Darwin suivit les conseils de sa fille et publia une note dans une revue médicale. Mais toujours est-il que les raisons secs soulagèrent autant que possible le pauvre estomac de Darwin durant ses nombreuses crises de mal de mer.

Gravure (1908) d'une scène de voyage en mer d'un récit de Charles Dickens.


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