[1832] L' Araignée de Darwin

Durant les escales terrestres de son Voyage à bord du Beagle (1831-1836), Charles Darwin collecta une impressionnante collection d'Invertébrés. Les Archnides n'échappèrent pas à son attention. Parmi les spécimens ayant le plus marqué notre jeune naturaliste, les araignées du Brésil figurent en bonne position. Dans une lettre adressée à son cousin depuis la maison qu'il occupa le long de la Baie de Botafogo, Darwin écrivit : « Je suis entièrement occupé par les Animaux terrestres, car la plage n'est que du sable; les Araignées et taxons proches m'ont peut-être le plus de plaisir de part leur originalité ». Correspondance de Charles Darwin à William Darwin Fox, mai 1832.

Il faut croire que ce vif intérêt pour l'ordre des Araignées s'avéra payant, puisque Darwin captura deux spécimens d'un genre jusqu'ici inconnu des naturalistes de son époque. La Liste des Spécimens indique deux références pour ces araignées "relativement proches des Epeires" à abdomen tâché de rouge vif (n°235 & n°243). Mais ces Araignées demeurèrent non-décrites pendant 19 ans. Jusqu'à ce que le zoologue écossais Adam White, reprenant les Notes zoologiques et le spécimen n°243 (une femelle conservé dans l'alcool), en proposa la première description scientifique. Hélas, ce fameux spécimen n°243 aurait été perdu peu de temps après les investigations de White.

« Je me penche actuellement sur des araignées rouge-vives, elles sont très intéressantes, et si je ne me trompe, j'ai déjà capturé de nouveaux genres » Correspondance de Darwin au Pr. Hewslow, 18 mai 1832. Le 6 mai 1832, Darwin a fini de déménager une partie de ses affaires depuis le HMS Beagle jusqu'à la petite maison qu'il occupe le long de la baie de Botafogo, lui et trois autres compagnons de voyage. Pendant ce séjour, que le capitaine FitzRoy réalise de nouvelles mesures géographiques le long des côtes brésiliennes. Darwin quant à lui vaque alors à ses occupations habituelles, et ses collections s'étoffent à mesure de ses pérégrinations.

Dans ses Notes zoologiques, il rapporte pour cette journée du 6 mai différents Invertébrés sur lesquels ses déterminations se heurtent au manque de connaissances naturalistes de son époque. Parmi ces spécimens figurent ces deux Araignées à abdomen rouge "relativement proches des Epeires" qu'il a récolté au centre de leur toile concentriques parsemées de fins filaments irréguliers. Mais plus que les motifs de leurs chélicères et la disposition de leurs yeux, Darwin est frappé par la vive couleur rouge rubis des tâches de leur abdomen. A tel point qu'il en fit part à son mentor Henslow dans sa correspondance.

Darwin proposa alors le nom de genre Leucauge sp. pour décrire ces nouvelles araignée. Mais il ne publia pas de commentaires sur sa découverte. Adam White pour sa part nomma en 1841 dans son article "Descriptions of new or little known Arachnida" l'araignée n°243 du nom scientifique de Linyphia (Leucauge) argyrobapta, considérant que le taxon Leucauge de Darwin était tout au plus un sous-genre. Pour autant, White proposa de décrire l'espèce à l'aide des propres notes de Darwin. Une preuve supplémentaire de la qualité professionnelle du travail du jeune Charles durant son voyage naturaliste.

Depuis cette époque, la classification de ces araignées "relativement proches des Epeires" a quelque peu évoluée. En 1842, le baron Charles-Athanase Walckenaer décrivit l'espèce américaine Leucauge venusta. Deux siècles plus tard en 2010, Dimitrov & Homiga conclurent que L. argyrobapta n'était autre qu'un synonyme de L. venusta (alors espèce-type). Sept ans plus tard, Chávez prouva dans sa thèse de Master que les deux espèces étaient bien génétiquement distinctes : L. venusta en Amérique du Nord jusqu'en Colombie, et L. argyrobapta pour l'Amérique du Sud. En hommage à Darwin, ses chères araignées à abdomen rouge rubis furen rebaptisées Leucauge argyrobapta !



Femelle de Leucauge argyrobapta (White, 1841). (Araignée retirée de sa toile pour la photographie). Photo par Donald W. Hall, University of Florida.


Bibliographie :

Chávez, J.A.B. (2017). Species delimitation of the Orchard-spider Leucague venusta (Araneae, Tetragnathidae), the Phylogeny of Leucague and identification of Orthologus Genes from transcriptomes. https://scholarspace.library.gwu.edu/downloads/hm50tr77k

Dimitrov, D. and Hormiga, G. 2010. Mr. Darwin’s mysterious spider: on the type species of the genus Leucauge White 1841 (Tetragnathidae, Araneae). Zootaxa, 36:19–36.

White, Adam. 1841. Descriptions of new or little known Arachnida. Annals and Magazine of Natural History 7: 471–7.


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