[1832] Darwin découvre le site fossilifère de Punta Alta
Le 22 septembre 1832 est un date majeure dans le récit du Voyage de Darwin à bord du HMS Beagle. Si elle n'est pas aussi célèbre que son arrivée dans l'archipel des Galapagos, cette journée de printemps dans l'hémisphère Sud allait toutefois marquer une étape importante dans le développement de sa théorie de l'évolution. Mais intéressons-nous aux événements. Alors que Darwin, le Capitaine FitzRoy et le Lieutenant Sulivan cabotent avec une baleinière dans la baie de Bahia Blanca, les falaises claires de sable quartzique attirent l'attention du jeune naturaliste. Le capitaine accepte de débarquer sur le rivage et Darwin fouille le sable. Son instinct de naturaliste a vu juste : dans la roche sédimentaire émergent d'imposants fossiles.
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Les falaises de Punta Alta. Darwin in Argentina. Revista de la Asociación Geológica Argentina 64, 1 (2009), p. 1-180. |
Ces premiers fossiles de Mammifères et de Coquillages déterrés dans les basses falaises de Punta Alta motivent grandement Darwin. Le lendemain, il revient par voie terrestre avec l'intention d'en charger le plus grand nombre. Les chevaux de trait qu'il emmène avec lui sont certainement prêtés par les Gauchos de la garnison de Bahia Blanca. Patiemment, Darwin déterre le crâne d'un gros animal. « Je me rendis à Punta Alta pour observer des fossiles et, à ma grande joie, je trouvai la tête d'un gros animal, incrustée dans une roche tendre. — Il m'a fallu près de trois heures pour la sortir : autant que je sache, elle est apparentée au rhinocéros » Charles Darwin, Journal de Bord. Dans la Zoologie du Voyage du HMS Beagle, le célèbre Richard Owen en charge de l'examen des Mammifères fossiles identifiera ce crâne comme étant celui d'un Megatherium americanum (Cuvier, 1796). Ces énormes Paresseux herbivores occupaient un large territoire sud-américain durant la fin du Pléistocène moyen et le Pléistocène supérieur, allant de la Bolivie jusqu'à la Pampa argentine. Les Megatherium disparurent voilà 12.000 ans, après que les chasseurs amérindiens les aient tous exterminés. Lorsqu'il ramène ses trouvailles à bord du Beagle, le capitaine FitzRoy ne peut s'empêcher de sourire laconiquement devant tout ce « fatras de déchets » qui vient encombrer le pont du Beagle.
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Darwin, conscient d'avoir fait une importante découverte, n'est cependant que très peu versé en paléontologie. C'est pourquoi il croit reconnaître le crâne d'une sorte de rhinocéros. Mais il compte retourner sur place afin de déterrer le plus d'ossements possibles. Le 25 septembre, il se remet à l'ouvrage. De nombreux ossements sont brisés, ou ont été roulés par les vagues. Mais qu'importe. Darwin récolte patiemment ces précieux fossiles. Le 8 octobre, il déterre une mâchoire encore dotée d'une unique dent. Quel fut donc cet animal préhistorique ? Darwin imagine alors la bête géante, victime d'une déluge cataclysmique selon les théories géologiques de rigueur à son époque. Il ne pourra cependant pas dresser une identification correcte au cours de son Voyage.
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Fossile de mâchoire de Mylodon collecté à Punta Alta. In : Owen, R. Zoologie du voyage du H.M.S. Beagle, tome 1 : Mammifères fossiles (1840). |
Les spécimens fossiles ramenés en Angleterre, confiés à Richard Owen, n'appartenaient nullement à des rhinocéros ! Nous l'avons vu précédemment, la première découverte d'un Megatherium était déjà sensationnelle. La mâchoire déterrée le 8 octobre appartenait, quant à elle, à un Mylodon, un Paresseux terrestre géant de la famille des Mylodontidae. Owen décrivit le fossile de cette espèce disparue, qu'il baptisa Mylodon darwinii en hommage à son chanceux découvreur. Il s'agissait alors du second fossile de paresseux géant sud-Américain collectionné en Angleterre. Le précédent avait été acheté par une société savante. Aussi Darwin fut-il le premier naturaliste anglais à ramener des fossiles de Mammifères géants sud-Américains. Mylodon darwini était un animal de grande taille - 3,5 mètres de longueur - et pesait environ 1,5 à 2 tonnes. Quant à son régime alimentaire, des travaux récents proposent que Mylodon darwini n'était pas un herbivore, mais un omnivore et charognard opportuniste. Il était adapté aux climats froids des époques glaciaires. Le changement climatique, cumulé avec l'arrivée des premières vagues migratoires humaines en Amérique, eurent probablement raison de son espèce.
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Reconstitution d'un Mylodon darwini se nourrissant sur une charogne d'herbivore. Crédits : Jorge Blanco |
Au final, Darwin récolte des ossements appartenant à cinq taxons de Paresseux terrestres : Megatherium, Mégalonyx, Mylodon, Scelidotherium, et un autre Paresseux non identifié. Auxquels s'ajoutent « une carapace osseuse à compartiments, ressemblant beaucoup à celle d'un Tatou » (Charles Darwin, ''Voyage d'un Naturaliste autour du Monde'') que Owen identifia comme le fossile d'un Glyptodon, des ossements fossiles de Toxodon, autre grand Mammifère herbivore disparu, ceux d'anciens chevaux, et enfin une dent de Macrauchenia. Ce furent, de l'aveu même de notre jeune naturaliste, les découvertes majeures de sa prospection sur le site de Punta Alta durant cette escale du Beagle. Mais l'interprétation de ces découvertes n'était pas encore suffisamment mûrie dans son esprit. Le jeune homme était encore trop attaché à la théorie du catastrophisme pour correctement en tirer des conclusions. Bien que depuis le Cap-Vert, sa lecture du premier tome des Principes de Géologie de Lyell le convertissait progressivement au gradualisme. Darwin imagina dans un premier temps qu'un terrible événement ait ravagé l'environnement passé de cette espèce éteinte.
Dès 1837 cependant, lui vint l'idée d'une transmutation des espèces à même d'expliquer cette diversité fossile. Des décennies plus tard, dans ''L'Origine des Espèces'', il devait achever sa réflexion. Darwin estimait par datation relative - en s'appuyant sur les autres fossiles présents - que le site fossilifère de Punta Alta était relativement récent à l'échelle géologique. Comparant les différents fossiles de Mammifères qu'il y avait collecté, comme le Mylodon ou le Glyptodon, il constata que leurs représentants actuels (Paresseux et Tatous) étaient bien plus modestes que leurs lointains parents. Cette réflexion allait le convaincre de l'hypothèse que les descendants de ces anciens Mammifères géants étaient les héritiers d'une longue filiation avec modification des caractères transmis. Ses découvertes paléontologiques en Amérique du Sud allaient ainsi servir de preuves pour étayer sa théorie de la sélection naturelle.
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