[1833] De Buenos-Aires à Santa Fe

 Le 27 septembre 1833, Darwin se met en route en direction de Santa Fe, à 380 km de destination aux abords du Rio Paraná. Darwin voyage d'abord avec une caravane de chariots à bœufs. Mais les routes sont tellement défoncées par la saison des pluies que la progression est lente et les bêtes exténuées. Le 28 septembre, la caravane arrive à Luján, distante de 60 km du centre de Buenos-Aires. Les estancias se font plus rares dans cette région. Les prairies sont envahies par une espèce de chardon, qui forme une vaste étendue de fourrés verts clairs. Darwin rapporte que ces chardons géants de la pampa ont rapidement proliféré alors que les premiers colons occupaient la côte. Selon ses explications, ils auraient profité des lâchers de chevaux espagnols, à l'origine des chevaux sauvages du pays. Leurs innombrables déjections équines, ainsi que la pression de surpâturage, ont radicalement transformé les écosystèmes prairiaux au profit de cette espèce de chardon. Il s'agit donc d'une vaste transformation du paysage, dont l'origine n'est autre qu'anthropique.


Train de wagon sur la Pampa argentine dans les années 1860, gravé par Alfred Louis Sargent


Le 29 septembre, le paysage ne change guère et le voyage en devient particulièrement monotone. La route défoncée n'est pas des plus sûres, les bandits ayant pris l'habitude de se dissimuler derrière les buissons de chardons afin de surprendre les voyageurs. Fort heureusement, la caravane passe sans encombres. Mais ce n'est pas pour autant que Darwin n'échappe pas aux voleurs ! Le lendemain, il découvre stupéfait qu'il s'est fait dérober son pistolet. Pour rejoindre Santa Fe, les voyageurs vont longer le Rio Paraná et traverser tous ses affluents. Arrivés le soir à San Nicolás de los Arroyos, ils traversent le Rio Pavón le 30 septembre 1833. Désormais, la caravane s'élance la province de Santa Fe. Puis, c'est la traversée du Rio Saladillo, dont l'étiage est si bas en cette saison que son eau est salée ! Enfin, la caravane arrive dans la ville de Rosario.

Darwin profite du 1er octobre pour explorer les alentours et rejoint la caravane en fin de journée, plus au Nord. Les rivières sont encaissées par de modestes falaises, mais que le jésuite Falkner signalait au siècle dernier de riches gisements de grands ossements. Darwin tente d'extraire du sol certains de ces fossiles de « mastodontes », comme il les présentent dans son Journal de Bord. Mais leur mauvais état les rend trop friables et il ne parvient qu'à récupérer une grande dent fossilisée. Le lendemain 2 octobre, Darwin se sent fiévreux. Il interprète son état comme un insolation contractée la veille. Comme nous le verrons par la suite, c'est le début d'une longue série de désagréments. Le voyage se poursuit le 2 octobre 1832 dans l'inconfort jusqu'à Santa Fe. La caravane passe par Coronda et atteint enfin sa destination après avoir traversé un bras du Rio Paraná. Darwin est exténué. Les 3 et 4 octobre suivants, il reste prostré dans la chambre non meublée qu'il loue.
De son séjour dans la ville de Santa Fe, Darwin retiendra surtout son indisposition. Ce fut la première crise qui le frappa durant son voyage autour du monde. La plus marquante, en durée et en intensité, fut certainement celle qui le frappa à Valparaiso. De nombreuses hypothèses ont été développées autour de cette maladie qui affecta Darwin dès sou Voyage à bord du Beagle et pour le restant de sa vie. Si l'hypothèse d'une maladie vectorielle tropicale a souvent été proposée, je me suis rangé pour ma part à l'hypothèse récente d'une maladie mitochondriale.

Enfin, ce voyage depuis Buenos-Aires jusqu'à Santa Fe permet à Darwin d'aborder, une fois de plus, les changements radicaux de l'écologie du paysage des vastes étendues de pampa. Écologiste avant l'heure ? Les descriptions qu'il dresse de cette pampa déjà fortement anthropisée s'inscrivent plutôt dans une vision de biologiste de la conservation. Darwin déplore l'appauvrissement de la biodiversité spécifique, et critique l'abondance trompeuse des espèces restantes. Un constat qui fait tristement écho avec notre crise actuelle de la biodiversité.






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