[1832] Cabo Frio, un cap honni par le souvenir tragique du naufrage du HMS Thetis
Le 3 avril 1832, le HMS Beagle se rapproche de Rio de Janeiro et longe le Cap Frio (Cabo Frio), sur la côte brésilienne. Cette étape n'est pas sans marquer les esprits à bord, puisque le HMS Beagle passe non loin du lieu de naufrage du HMS Thétis. Ce drame datant de 1830 fit à l'époque grand bruit dans la presse anglaise, notamment en raison du chargement de lingots d'or perdu en mer. Et même si les deux tiers de la précieuse cargaison furent ensuite récupérés par les Anglais, le Cap Frio continue à attirer encore aujourd'hui les plongeurs amateurs comme les archéologues marins, puisque des lingots se dissimuleraient encore parmi les débris de l'épave !
Les vaisseaux HMS Ganges et HMS Thétis au large de Rio de Janeiro, en 1830. |
Mais en ce début avril 1832, croiser au large du Cap Frio a de quoi glacer d'effroi les marins superstitieux de sa Majesté. Darwin, pour sa part, commente ainsi l'événement : « Ce matin, Cabo Frio était en vue : c'est un endroit mémorable pour beaucoup dans le Beagle, car c'est le théâtre du honteux naufrage du Thétis » Charles Darwin, Journal de Bord. Il y a fort à craindre que l'ombrageux capitaine FitzRoy aurait sursauté de colère en entendant Darwin parler ainsi. Car dans ses Narratives, FitzRoy s'attarde longuement à réhabiliter l'honneur de l'infortuné capitaine Samuel Burgess et de ses officiers.
Le HMS Thétis était une frégate de cinquième rang de 46 canons de la classe Leda, construite pour la Royal Navy dans les années 1820. Elle fut achevée pour le service en mer le 20 août 1823. Lors de ses premiers armements, le navire reçut le surnom de "Tea Chest" en raison de la très sérieuse expérience à bord de la Royal Navy visant à réduire les rations de rhum de l'équipage. Trois ans plus tard en 1826, le navire fut définitivement affecté à la station d'Amérique du Sud. Le capitaine Arthur Bingham en prit le commandement le 8 novembre 1826, et ce jusqu'à son décès le 19 août 1830. Il fut officiellement remplacé par le capitaine Burgess le 29 novembre 1830.
La tragédie se joua quelques jours plus tard, le 5 décembre 1830. Alors que le HMS Thétis longeait le Cap Frio, il fit pris par les courants et se fracassa contre les falaises rocheuses. Au total, 22 membres d'équipage périrent durant cette tragédie, que la presse britannique relata dès que la nouvelle parvient jusqu'en Europe. L'affaire fit scandale en Angleterre, car navire transportait pas moins de 800 000 $ de lingots d'or ! Il n'en fallut guère plus pour que la rumeur se déchaîne sur ces malheureux marins de la Royal Navy. Mais c'était sans compter sur deux anciens officiers de bord : le capitaine FitzRoy et le lieutenant Sulivan ! Tous deux servirent sur le Thétis entre 1824 et 1828. FitzRoy était alors lieutenant, Sulivan un jeune aspirant. Et s'ils n'étaient pas à bord lors du naufrage de 1830, ils n'entendent pas laisser salir l'honneur de l'infortuné capitaine Burgess et de leurs anciens camarades.
« Le 3 avril, nous passâmes le cap Frio. Je voulus visiter l'anse où se trouvaient le Foudre et l'Algerine, tout en récupérant le trésor englouti dans l'infortuné Thétis, mais les circonstances m'étaient défavorables ». FitzRoy, Narratives. Notez que FitzRoy signale alors la présence de deux bâtiments surveillant la mise en place de l'échafaudage périlleux le long des falaises du Cap Frio, infrastructure assemblée dans but de repêcher la précieuse cargaison à l'aide d'une cloche de plongée ! Le HMS Mutine rapatria dès le mois d'août 1832 pas moins de 17 000 $ de lingots d'or. Et au final, les deux tiers du trésor furent repêchés par les efforts des Anglais, soit l'équivalent de 600 000 $.
Le Capitaine FitzRoy s'attarde sur les raisons réelles de ce naufrage. Et il entend bien exposer au grand jour les circonstances réelles de cette tragédie : « Parmi les naufrages qui ont eu lieu ces dernières années, aucun peut-être n'a excité autant d'étonnement, ni causé autant de trouble et de discussion, que la perte de cette belle frégate la Thétis. [...]Comme certains qui tournent ces pages n'ont peut-être pas lu les actes de la cour martiale tenue après le retour de ses officiers en Angleterre, j'insérerai un bref récit, dérivé principalement de ceux d'anciens amis et camarades de bord, qui étaient à bord de son au terrible moment de son naufrage » FitzRoy, Op. Cit.
FitzRoy explique comment le HMS Thétis, pris dans un courant contraire, n'arriva pas à redresser la situation alors que le beau temps virait soudainement à la tempête. Le brusque changement de courants dans ces eaux incertaines, ainsi que des conditions météorologiques imprévisibles, lavent à ses yeux le capitaine et ses officiers de tout soupçon d'incompétence. Quant aux mauvaises langues qui s'estimèrent à même de juger de cette affaire deux ans plus tôt, FitzRoy entend bien les étriller comme il se doit : « Ceux qui ne courent jamais aucun risque ; qui ne naviguent que lorsque le vent est bon ; qui lèvent à l'approche de la terre, bien que peut-être à une journée de voile de distance ; et qui retardent même l'exécution de tâches urgentes jusqu'à ce qu'elles puissent être accomplies facilement et en toute sécurité ; sont, sans aucun doute, des personnes extrêmement prudentes : mais plutôt différentes de ces officiers dont les noms ne seront jamais oubliés tant que l'Angleterre aura une marine ». FitzRoy, Op. Cit. Que de termes forts élégants pour remettre à leur place tous ces marins d'eau douce et autres moules à gaufre, comme aurait rétorqué bien plus vertement notre fameux capitaine Haddock !
Les personnes intéressées par le lieu du naufrage et les détails de la récupération du trésor englouti peuvent consulter cette page web, qu'un internaute brésilien m'avait gentiment adressé sur twitter.
"Salvage of Stores and Treasure from HMS 'Thetis' at Cape Frio, Brazil" par l'artiste John Christian Schetky, peinture à l'huile de 1833. |
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