[1832] Première rencontre du Beagle avec les efflorescences de sciure de mer

Lors de l'excursion du HMS Beagle vers l'archipel des Abrolhos, Darwin observa en mer une efflorescence marine de Trichodesmium erythraeum (= Oscillatoria erythraea). Cette cyanobactérie filamenteuse suffisamment grosse pour que ce micro-organisme soit visible à l'œil nu est aussi appelées sciures de mer. Les efflorescences de cette Cyanophycée sont alors connues depuis 1770 grâce aux expéditions Cook : « Le capitaine Cook, dans son troisième voyage, remarque que les matelots donnent à ces végétaux le nom de sciure de mer » Charles Darwin, Voyage d’un naturaliste autour du monde.


Efflorescence de Trichodesmium au large de la Grande Barrière de Corail (Wikimedia)


Alors que le Beagle traverse dans son sillage une vaste efflorescence de Trichodesmium erythraeum, Darwin ne manque pas de relever avec attention ce phénomène marin. « Le nombre de ces plantules doit être infini ; notre vaisseau en traversa plusieurs bandes, dont l’une avait environ 10 mètres de largeur et qui, à en juger par la décoloration de l’eau, devait avoir au moins 2 milles et demi de longueur » Op. Cit. Ce n'est pas le seul épisode du Voyage durant lequel Darwin observera de telles efflorescences. En février 1836 à King George Sound (Australie), puis en avril 1836 aux îles Cocos ou îles Keeling, il nota également la prolifération de ces fameuses sciures de mer.

La croissance de Trichodesmium erythraeum est limitée par les concentrations de fer et de phosphate dans l'eau de mer. Mais il est fort probable que les efflorescences observés par Darwin soient liées aux épisodes fertilisants de brumes de sable notés au Cap-Vert courant janvier 1832. Ou bien encore, les panaches de sédiments charriés par les fleuves et rivières amazoniens suffisent à enrichir en nutriments la baie de Bahia. Les eaux calmes et chaudes sont alors propices à une stratification physico-chimique de la colonne d'eau. Bénéficiant d'un bon ensoleillement, les cyanobactéries photosynthétiques prolifèrent en conséquence. Ces micro-organismes fixateurs d'azote sont capables de former des microcosmes complexes, par interactions entre différents organismes planctoniques marins.

Il a même été démontré qu'au sein des efflorescences marines de Trichodesmium sp., des bactéries fixatrices de fer vivent en interaction. Ces dernières facilitent ainsi l'incorporation du fer présent dans les poussières de sable au sein de la chaîne alimentaire marine (Basu et al., 2019). Aussi est-il possible d'observer au sein de ces efflorescences toute une richesse spécifique de bactéries, diatomées, dinoflagellés, et divers zooplanctons !


Interaction entre Trichodesmium et les bactéries marines fixatrices de fer. (Basu et al., 2019)

Darwin ignorait que Trichodesmium erythraeum produit des toxines appartenant aux familles chimiques des microcystines et des saxitoxines. La présence régulière de ces efflorescences dans la baie de Bahia, entre Salvador de Bahia et l'archipel des Abrolhos, a donné lieu de nos jours à différents programmes de surveillance sanitaire. Fort heureusement, il s'avère que ces toxines marines sont sans danger direct pour l'homme (Lao et al., 2009).

Ce ne sont pas les seuls exemples d'efflorescences de micro-algues que Darwin rapporta dans ses carnets naturalistes. Le long des côtes chiliennes, il nota aussi la couleur des eaux rougies par l'abondance de Protozoaires, probablement des Dinoflagellés. Nous y reviendrons plus tard, lors des escales du HMS Beagle le long des côtes Pacifiques d'Amérique du Sud.

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