Darwin et la maladie de Chagas
La maladie de Chagas ou trypanosomiase américaine est une maladie parasitaire des régions tropicales d'Amérique du Sud et centrale. Elle est provoquée par un Protozoaire, Trypanosoma cruzi. L'agent pathogène utilise pour vecteur des punaises hématophages, les Réduves, qui peuvent infester les maisons comme les campagnes. La transmission jusqu'au hôte humain ne se fait cependant pas suite à une piqûre directe, mais par l'intermédiaire de ses déjections qu'il peut injecter alors qu'il se nourrit de sang. Il faut donc une exposition et des piqûres régulières pour qu'un hôte soit infecté par le Trypanosome.
L'hypothèse est fort tentante car Darwin dormit pendant 128 jours dans une zone « hyperendémique » de la maladie de Chagas. Son exposition aux punaises hématophages ne fait aucun doute, puisqu'il en parle lui-même ! Dans son "Voyage d'un Naturaliste autour du Monde", il mentionne avoir été attaqué par une espèce de Reduvius, la grande punaise noire des pampas (fin mars 1835) : « Il est extrêmement répugnant de sentir ces insectes mous et sans ailes, d'environ deux centimètres de long, ramper sur son corps. Avant de sucer, ils sont assez fins, mais ensuite ils deviennent ronds et couverts de sang, et dans cet état, ils sont facilement écrasés ».
Cependant, s'il est indiscutable que Darwin fut bien piqué par la punaise vectrice. son infection par ce Protozoaire n'est en rien certaine. Il est vrai que les preuves cliniques de la maladie chronique de Darwin coïncident assez bien avec celles de la maladie de Chagas, troubles neurologiques et digestifs notamment. Mais pour autant, un large éventail de maladies peuvent tout aussi bien expliquer les symptômes de Darwin : maladie de Crohn, syndrome du côlon irritable, intolérance au lactose et aux aliments, et enfin une maladie génétique héréditaire portée par l'ADN mitochondrial. C'est pourquoi le parasitologue Alan Woodruff posa dans les années 60 de sérieuses critiques quant à l'infection par Trypanosoma cruzi.
Pour Woodruff, toute une liste d'objections se pose. Les punaises que Darwin croisa en Argentine auraient pu être exemptes de T. cruzi ; les personnes sont généralement infectées à la suite d'une longue exposition aux punaises hématophages (et non occasionnellement comme Darwin) ; les symptômes gastriques auraient difficilement pu survenir en l'absence de lésions cardiaques (hors l'activité physique de Darwin ne semble pas avoir été affectée) ; les épisodes de stress et symptômes post-voyage sont concomitants ; certains des symptômes initialement attribués à la maladie de Chagas sont également compatibles avec d'autres maladies potentielles.
Botto-Mahan & Medel (2021) rajoutent quant ) eux un argument supplémentaire en faveur de l'hypothèse de la maladie de Chagas. La forte exposition lors des voyages de Darwin dans la Cordillère des Andes à des punaises vectrices du Protozoaire est bel et bien avérée. Aussi, la probabilité augmente grâce à cet argument éco-épidémiologique. Pour autant, les auteurs soulignent l'absence de preuves directes d'une infection au Trypanosome. En effet, la loi britannique interdit d'excaver un corps en-dehors d'une affaire criminelle. Aussi, aucun test génétique ou immunologique n'a pu être effectué sur la dépouille de Darwin. Tout au plus, une tâche de sang sur un de ses carnets fut étudiée, sans détecter d'anticorps ciblant le Trypanosome. Cette preuve reste cependant partielle, car en raison de la dégradation de l'échantillon, il n'est pas possible d'exclure un faux négatif.
Le mystère autour de la maladie chronique de Darwin demeure une énigme pour les historiens et médecins. Tout au plus pouvons-nous conjecturer, et proposer notre hypothèse favorite. Néanmoins, l'assurance avec laquelle certains auteurs attribuent à Darwin les symptômes de la maladie de Chagas laisse songeur, alors qu'aucune preuve médico-légale réelle ne permette de l'affirmer. Nous n'en avons pas fini de débattre du patient Darwin ...
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