[1834] Excursion géologique jusqu'au pied des Andes (2/4)

Le 18 août 1834, Darwin et son guide Mariano Gonzales sont de retour à la Hacienda du Major Domo. Puis le 19 août 1834, après avoir traversé la proche ville de Quillota, ils remontent la vallée et dépassent au 20 août 1834 la bourgade de San Felipe. Reprenant leur route jusqu'aux mines de Jajuel, il y parviennent au 21 août. Situées dans un ravin au cœur des Andes, ces mines de cuivre sont tenues par un mineur originaire de Cornouailles. Mais notre homme ayant épousé une espagnole, il n'a désormais plus l'intention de rentrer au pays ! Notre homme n'en reste pas moins sensible aux affaires de l'Angleterre. Ou du moins aux affaires de mœurs de la Couronne, puisque dans la conversation avec Darwin il fait référence à George Rex, bâtard présumé du Roi George III.


Gravure colorisée de mineurs chiliens au XIXème, par Claudio Gay (1854)


Mais revenons à nos mines. En tant que géologue, Darwin va se pencher de très près sur le fonctionnement de l'exploitation minière. Contrairement aux mines anglaises, le minerai extrait n'est pas fondu sur place. Il est expédié par bateau à Swansea pour se faire. Ici, pas de fourneaux, de fumées et de machines à vapeur, et comme le note si bien Darwin, aucune dégradation environnementale associée. Il n'en reste pas moins l'activité minière, intense et rentable pour le propriétaire. Les employés, quant à eux, sont réduits à la misère.

Le gouvernement chilien a conservé une ancienne loi de la Vice-Royauté espagnole favorisant l'établissement de mines. Les employés sont sous-payés, tenus aux pires corvées alors que très peu de machines n'assistent les mineurs dans leurs tâches. Ici, les mineurs du Germinal de Zola font figure de nantis. La journée est interminable, tant qu'il fait jour, pour un salaire dérisoire de douze livres par an. Ils ne rentrent chez eux que tous les deux à trois semaines, dormant et mangeant sur place. Le repas ne se compose que haricots bouillis et de brisures de blé grillé. Tout juste ont-ils droit à du charqui, des lanières de bœuf séché, avec leur salaire mensuel.

Darwin ne manque pas de faire la part belle à ces forçats des mines, avant de relater les avancées dans ses observations géologiques. Jusqu'au 24 août, il va pouvoir à loisirs escalader les montagnes alentours avant que la neige ne le retienne à Jajuel pendant deux jours. Mais quitte à rester bloqués sur place, intéressons-nous un peu à ces gisements de cuivre. Connaissez-vous leur origine géologique ? A l'état naturel, le cuivre se trouve dans des porphyres cuprifères. Les porphyres sont des roches magmatiques filoniennes à texture grenue (gros cristaux) contenant de grands cristaux feldspathiques. Initialement pour obtenir beaucoup de porphyres cuprifères, il faut un magma calco-alcalins caractéristiques d'arcs volcaniques des zones de subduction. Typiquement ce que nous avons au niveau de la Cordillère des Andes ! Alors que le magma refroidit en remontant vers la surface, la circulation des fluides encore chauds va favoriser la précipitation du cuivre sous la forme de porphyres, entre 1 et 6 km de profondeur. De grands volumes de magma doivent remonter rapidement depuis les réservoirs magmatiques afin de charrier suffisamment de fluides et de porphyres. Mais si l'éruption explosive aboutit, les dépôts cuprifères seront éjectés ! Cela signifie que pour avoir des gisements de cuivre, il faut de l'activité magmatique avorte sous la formation de roches magmatiques filoniennes.


Les mécanismes de formation des dépôts de cuivre (a). © Chiaradia & Caricchi, 2022, Nature Communications, CC by 4.0.


Pour trouver des porphyres, il suffit de chercher des traces de volcanisme intrusif. C'est à dire un magma de forte viscosité, qui s'est infiltré au travers de roches existantes sans pour autant aboutir à la surface. C'est pourquoi non loin de Jajuel, Darwin trouve à nouveau ses fameux dykes de diorite. Nous avions remarqué lors du précédent billet que l'usage du terme « diorite » dans son Journal de Bord était peut-être erroné. Darwin s'avance probablement un peu trop vite ici, mais corrige largement le tir dans ses Geological Observations on South America. Toujours est-il qu'il documente à plusieurs reprises la présence de roches plutoniques intrusives affleurant sur les pentes des contreforts andins. De même insiste-t-il sur la présence de porphyres. Notons d'ailleurs que Darwin signale à plusieurs reprises la présence de ces fameuses roches porphyriques verdâtres, que l'on peut associer à des dykes andésitiques. Or l'andésite n'est-elle pas une roche volcanique associée au volcanisme de subduction, comme dans les Andes ? Les roches magmatiques filoniennes de Darwin et la mine de cuivre de Jajuel ne sont au final que deux témoins géologiques de la subduction de la plaque Nazca sous la plaque sud-américaine !

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