[1833] Les aventures maritimes de La Liebre et de La Paz
Messieurs Stokes & Mellersh opèrent à bord de la Goélette La Paz, le Lieutenant Wickham et l'aspirant King à bord de la Goélette La Liebre. Ces deux Goélettes ont été louées dès septembre 1832 par le capitaine FitzRoy sur ses deniers personnels. Leur missions consiste alors à approfondir le travail de cartographie le long des côtes argentines. Si Darwin livre quelques détails dans son Journal de Bord sur ce rendez-vous manqué d'avril 1833, il est plus pertinent de consulter à ce sujet les Narratives du capitaine Robert FitzRoy.
Mais revenons tout d'abord sur les descriptions techniques que le Capitaine FitzRoy dressa de ces deux petits navires. Nous aurions pu nous contenter des précisions de Darwin dans son Journal de Bord, cependant ce dernier manque de rigueur à ce sujet ! Il semble bien plus raisonnable d'accorder crédit au capitaine de l'expédition :
La Paz est une Goélette de 15 tonneaux ; le tonnage est la capacité cubique intérieure ou capacité de transport. On parle de jauge ou de tonnage, car elle est exprimée en tonneaux. Un tonneau équivaut à 100 pieds cube ou 2,83 m3. Nous n'avons pas de longueur rapportée pour ces deux navires ; or une Goélette n'a pas de dimensions spécifiques ! Il convient en effet d'appeler Goélette tout navire à voiles auriques ayant au moins deux mâts, le mât arrière (grand-mât) étant plus grand - ou égal - que le mât avant (mât de misaine). A l'inverse, un Yawl ou un Ketch sont des navires dotés d'un mât de misaine toujours plus grand que le grand-mât. Nous devrons donc nous limiter à ces détails pour imaginer La Paz. Initialement, le capitaine FitzRoy pensait en confier le commandement au Lieutenant Wickham (portrait ci-contre). Finalement, elle fut commandée par Mr. Stockes, Mr. Mellesh et Mr. Forsyth. Cinq hommes d'équipage les accompagneront. Le navigateur désigné est Mr. Harris en personne. Wickham commanda cependant la flottille en tant qu'officier le plus gradé.
La Liebre est une Goélette encore plus petite, d'une jauge de seulement 9 tonneaux. C'est une coque de noix à voiles, si l'on en croit les descriptions de Darwin. Un bordage d'un pouce d'épaisseur seulement, sa plus petite cabine d'une hauteur au plafond de 76,2 cm ; voilà de quoi caboter tranquillement dans la rade d'un port breton, et de préférence par beau temps. Pourtant, le Lieutenant Wickham, l'aspirant King, le navigateur Mr. Roberts et quatre hommes d'équipage vont s'y entasser pendant de longs mois, affrontant même des tempêtes australes au large des côtes ! Chapeau bas, messieurs.
Le 15 avril 1833, à l'embouchure du Rio Negro. Une petite Goélette similaire à La Paz franchit difficilement la passe. Elle accoste le Beagle et remet au Capitaine FitzRoy des lettres du Lieutenant Wickham depuis la Goélette La Liebre. Il l'informe qu'il est parti explorer le golfe de San Matias quelques jours auparavant, après avoir exploré la côte jusqu'à Port Desire. Il apprend également la perte du Caporal Williams, qui est tombé par-dessus bord le 24 décembre dernier et s'est noyé dans les eaux du Rio Negro. Le Beagle met les voiles vers la baie de San José, espérant rattraper La Liebre et La Paz, mais en vain.
Le capitaine FitzRoy a également acheté une Goélette aux îles Malouines, l'Unicorn. Une fois arrivé à Maldonado fin avril 1833, il fait entamer les travaux de rénovation de ce navire quelque peu malmené par ses traversées de l'Atlantique Sud. Dans un proche avenir, le Capitaine FitzRoy envisage d'en donner le futur commandement au Lieutenant Wickham. Sauf que ce dernier est déjà aux commandes de la Goélette La Liebre ! Le 1er mai, l'aspirant Usborne est envoyé auprès de La Liebre pour y remplacer le Lieutenant Wickham et y assister Mr. Stockes qui opère sur la Goélette La Paz. Il est accompagné de l'aspirant Forsyth et de cinq hommes d'équipage. Pour cette occasion, le capitaine FitzRoy emprunte la Goélette Constitución nouvellement construite à son propriétaire, Don Francisco Aguilar. Le navire resta au service de FitzRoy pendant deux mois (mai – juin 1833). Le Lieutenant Wickham revient à temps à bord de la Constitución pour qu'il puisse prendre le commandement de l'Unicorn, rebaptisé fin juillet l'Adventure.
La petite flottille ne chôma pas, de septembre 1832 à août 1833, période durant laquelle ces deux Goélettes de location cartographièrent la bande côtière entre le Rio Negro et Blanco Bay. Mais leur travail fut entièrement consacré à leurs travaux, aussi les informations sur les terres longées manquent à leur rapport. Le jugement porté par leur officier supérieur peut sembler plutôt rude, puisque le Lieutenant Wickham (portrait ci-contre) fit tout son possible pour échanger avec les colons espagnols, créer un réseau de connaissances en vue de prochaines visites, explorer si possible le littoral et même traquer les indices de présence d'indiens ! Cependant, cela semble encore insuffisant pour l'exigeant Capitaine FitzRoy. Mais ce dernier reste tout de même honnête sur les mérites de ses officiers, et ne tarit pas d'éloges concernant la tâche accomplie durant ces longs mois passés en mer. A tel point qu'il consacra un chapitre entier de ses Narratives au récit de leurs aventures en mer. Soulignons que le talent de Wickham fut tout autant reconnu par la Royal Navy, qui le nomma Capitaine puis Commandant du HMS Beagle au cours de son Troisième Voyage (1837–1843) !
Le récit de ces mois passés en mer s'entrecroise d'ailleurs entre le Journal de Bord de Darwin et les Narratives de FitzRoy. Nous avions eu occasion d'en relater une partie lorsque les trois navires se retrouvèrent en décembre 1832. Les conditions en mer furent rudes. Non seulement les navires essuyèrent de gros grains dans le Rio Negro, mais ils eurent à souffrir les terribles tempêtes qui déchirèrent l'océan depuis la Patagonie jusqu'en Terre de Feu durant le mois de janvier 1833 ! De même au 6 mai 1833, alors qu'ils retournaient à San José, les deux Goélettes faillirent être piégées par une vague scélérate qui ne s'est pas brisée, mais qui avait presque l'apparence d'un tourbillon. Reconnaissons donc pour conclure ce billet tout le courage, la détermination et la loyauté envers leur capitaine et leur mission de ces marins, qui passèrent probablement les pires mois de navigation de leur vie dans le seul but d'accumuler les données cartographiques les plus précises possibles. Chapeau bas, messieurs les Anglais !
Commentaires
Enregistrer un commentaire