Le Champignon de Darwin
« Il y a une production végétale qui mérite d'être signalée, à cause de son importance comme aliment. C'est un champignon globuleux, jaune clair, qui pousse en nombre considérable sur les hêtres » Charles Darwin, op. cit. Comme l'explique Darwin, ce Champignon appartient bien à genre nouveau et curieux jamais encore décrit en ce début du XIXème siècle. Durant ses séjours en Terre de Feu, Darwin collecte différents spécimens, qu'il discerna avec raison en deux espèces différentes. Rapportant ce fait dans la première édition de son Voyage d'un naturaliste autour du Monde, son récit attira l'attention du révérend et botaniste Miles Joseph Berkeley. Se procurant les notes de Darwin et les spécimens conservés par l'intermédiaire du Pr. Henslow, il identifia formellement les deux espèces comme distinctes. Plus tard dans les éditions ultérieures de son ouvrage (dont l'édition traduite en français), Darwin cita les travaux de Berkeley parus dans les Linnean Transactions (Berkeley, 1842).
Berkeley décrit ainsi le genre Cyttaria, dans lequel il range les deux espèces collectées par Darwin. Il nomme la première espèce, d'une couleur jaune-orangée, Cyttaria berteroii. La seconde espèce, qui s'en distingue très facilement par sa couleur jaune blanchâtre, reçoit comme nom binominal Cyttaria darwinii. Il s'agit toutes deux de Champignons Ascomycètes de la famille des Cyttariaceae. Ces parasites des Fagacées se développent plus particulièrement sur les arbres du genre Nothofagus. Avis aux puristes, ce genre ne figure plus parmi les Fagacées mais désormais les Nothofagacées. Ces champignons et leurs hôtes se croisent en Terre de Feu et Patagonie australe. Nous les retrouvons donc tout naturellement sur le Ñire ou Hêtre de l'Antarctique (Nothofagus antarctica). L'arbre tente de contre-carrer son hôte parasite en générant des tissus sclérosés. Mais les mycéliums ont tôt fait de contourner ces pièges. En conséquence, les Cyttaria développent leurs sporophores globulaires sur les galles boursouflées des troncs de Hêtres.
Les Fuégiens n'eurent point besoin d'attendre la savante publication du révérend Berkeley pour apprendre à les reconnaître et à les apprécier. Leurs femmes et enfants cueillaient ce champignon en grandes quantités dès lors qu'il est mûr, et le consommaient cru. Son goût mucilagineux doucement sucré ne les dérangeait nullement, et il constituait le principal légume de leur alimentation. Appelé Pan de los Indios, llao llao ou encore Dihueñe en espagnol, ces noms vernaculaires correspondent à différentes espèces comestibles et commercialisées. On les retrouve aujourd'hui en desserts, sorbets, glaces, et même en boissons fermentées ! Une originalité culinaire contemporaine qui n'aurait guère étonné Darwin, déjà bien au fait de leur consommation traditionnelle.
Berkeley, Rev. M. J. (1842). On an edible Fungus from Tierra del Fuego, and an allied Chilian Species. Transactions of the Linnean Society of London, 19, 1, mai 1842, p. 37–43. [En ligne]
Commentaires
Enregistrer un commentaire