[1832] Santiago, étape majeure pour le géologue Darwin (1/3)

Du 16 janvier au 8 février 1832, le HMS Beagle fait escale au Cap-Vert, à Porto-Praya sur l'île de Santiago. Durant ce séjour, Darwin en profita pour réaliser une exploration attentive des alentours et faire ses premiers pas en tant que naturalise de terrain accompli. Des années plus tard dans son Autobiographie, il devait souligner à quel point cette étape de son voyage à bord du Beagle avait été tout aussi importante que formatrice.


Géologie de l'île de Santiago. In : Darwin (1844). Geological observations on the volcanic islands visited during the voyage of H.M.S. Beagle.

Les théories de Darwin ne se limitent pas qu'à l'évolution des espèces, elles abordent également la géologie. Or durant son apprentissage de la discipline à Cambridge début 1831, et ensuite alors qu'il assista le Pr. Sedgwick durant son excursion au Pays de Galles, Darwin avait reçu un enseignement « catastrophiste » des sciences de la Terre. Non pas qu'il ait été élève médiocre, il s'agit d'une rumeur qui circule encore de nos jours et qui est inexacte. Non plus que ses professeurs aient été catastrophiques, ce n'est point du tout le sens de ce mot ! Mais il s'agit là d'un courant de pensée désormais obsolète en géologie, le catastrophisme. Cette théorie scientifique considérait que depuis la Création biblique, la Terre avait connu divers épisodes dévastateurs, qui expliquaient à la fois les reliefs tourmentés et la disparition de certaines espèces désormais fossiles.

La théorie du catastrophisme séduit les biologistes de la fin du XVIIIème et début XIXème siècle parce qu'elle permet de concilier sciences naturelles et enseignements bibliques. Pour les savants partisans du fixisme, elle permet même d'expliquer les découvertes alors croissantes d'une flore et d'une faune fossilisée. Le naturaliste Georges Cuvier en fut l'un de ses plus ardents partisans, car cette théorie lui permettait alors d'expliquer les différentes successions de fossiles sur les étages stratigraphiques. En paléontologie, les biozones ou couches stratigraphiques sont définies par les fossiles contenus dans les sédiments. La diversité de ces fossiles varie selon les couches, ce qui permet d'effectuer leur datation relative. Les ruptures entre ces intervalles s'expliquent alors par des crises biologiques.


La terre avant le Déluge, 1863 "Déluge du nord de l'Europe" Louis Figuier, illustré par Édouard Riou

Dans l'Europe scientifique de l'époque, l'idée d'une crise d'extinction majeure récente inspirée du récit biblique du Déluge tel que décrit dans la Genèse était alors une hypothèse en vogue pour expliquer ces différentes observations géologiques. La paléontologie, toute jeune discipline encore balbutiante, y trouvait toute sa légitimité, puisque cette théorie classait les fossiles parmi les espèces non épargnées durant le Déluge. Une position idéologique pratique face aux croyances religieuses de l'époque, puisqu'elle ne remet en cause ni la Genèse et la Création divine, ni le fixisme des espèces vivantes. Alcide d'Orbigny, disciple de Cuvier, justifia même les couches stratigraphiques comme autant d'interludes entre différentes crises catastrophiques locales ou globales ayant eu lieu tout du long de l'âge biblique de la Terre. Soit, pour cette hypothèse d'une Terre jeune, une date de la Création fixé par les additionneurs méthodistes au 23 octobre de l’an 4004 av. J.-C.

Le jeune Charles Darwin a été formé aux sciences naturelles au cours de ses études de théologie. Il était alors sans aucun doute convaincu par la théorie du catastrophisme, validée de manière quasi-unanime par les géologues de son époque. Il n'avait pas non plus débuté de réflexion poussée sur sa propre religion, et tout laisse à penser qu'il était encore croyant et pratiquant à l'époque. Cependant, la bibliothèque du HMS Beagle possédait un tout récent exemplaire du premier volume (1830) des « Principes de géologie » de Lyell. Darwin en débuta la lecture lors de l'escale du Beagle au Cap-Vert. Darwin est alors un jeune homme curieux, mais qui n'a pas encore confronté ses certitudes à l'épreuve du terrain. « Quand on examine pour la première fois une nouvelle contrée, rien ne peut paraître plus désespérant que le chaos des roches ; mais, en prenant note de la stratification, de la nature des roches et des fossiles en de nombreux points, sans jamais cesser de raisonner ni de prédire ce que l'on trouvera ailleurs, la lumière ne tarde pas à poindre sur cette contrée, et la structure de l'ensemble devient plus ou moins intelligible ». Darwin, Autobiographie.

Pour Lyell et ses rares soutiens dans les années 1830, l'origine de la Terre n'intègre pas le récit catastrophiste biblique, mais repose sur un long cheminement graduel, nécessitant pour cela un âge très ancien. Les force responsables des reliefs passés sont encore aujourd'hui à l'œuvre aujourd'hui. Aussi l'observation des phénomènes géologiques actuels permet de mieux comprendre l'histoire de la Terre. Il s'agit en géologie des théories du gradualisme et de l'actualisme. Dès ses premières observations sur Santiago, la géologie de l'île n'a de cesse de lui démontrer « la prodigieuse supériorité de Lyell » op. cit. C'est là, devant les coulées de lave de l'île aux Cailles (Ilhéu de Santa Maria), que Darwin commença ce cheminement intellectuel qui devait le mener, lui aussi, à proposer l'hypothèse d'un âge ancien pour la Terre, à même de corroborer avec ses conclusions géologiques et paléontologies acquises sur le terrain.

Darwin ne se contentera pas uniquement de lire Lyell. Pour l'anecdote, il reçut le second tome de ses « Principes de géologie » en 1832, à Montevideo. Le troisième tome lui parvint certainement en juillet 1834 lors de l'arrivée du Beagle à Valparaiso. A son retour, il rencontra aussi le géologue, qui l'encouragea à publier ses travaux et devint même une relation amicale. Mais plus que tout, Darwin s'appuya sur l'approbation d'hommes de science comme Lyell pour construire ses théories scientifiques à partir du matériel de terrain considérable accumulé et composé de ses nombreuses notes, observations et spécimens qu'il ramena de son voyage à bord du Beagle.

Commentaires

Articles les plus consultés en ce moment :

[1833] Le mauvais temps contrarie les projets de Darwin

[1833] Des îles Malouines jusqu'au Rio Negro

Darwin et la géologie des îles Malouines