[1832] Une visite naturaliste de Fernando de Noronha

Le 19 février 1832 en fin de journée, le HMS Beagle arrive en vue de l'archipel de Fernando de Noronha. Située au large du Brésil, cette destination touristique est aujourd'hui desservie par un aéroport et accueille 4400 habitants. L'île principale, aux allures de paradis tropical, est désormais protégée en tant que Parc Naturel inscrit au patrimoine naturel de l'UNESCO. Son écosystème particulièrement fragile impose un contrôle assez strict des visites, aussi chaque touriste doit s'acquitter d'une taxe de préservation. Un moyen pertinent d'éviter le tourisme de masse et ses effets destructeurs sur les environnements insulaires.

Lorsque Darwin y débarque, l'archipel est recouverte par une forêt tropicale luxuriante. C'est l'occasion pour lui de goûter en avance aux délices naturalistes du tout proche Brésil : « J'ai passé une journée des plus délicieuses à errer dans les bois. Mais je suis sûr que toute la grandeur des Tropiques ne m'a pas encore été vue. — Nous n'avions pas d'oiseaux criards, Pas d'oiseaux colibris. Pas de grandes fleurs » Darwin, Journal de Bord.

Le HMS Beagle ne passe que deux jours au mouillage à Fernando de Noronha. Darwin pour sa part n'y débarque que sept heures, mais il prend le temps de décrire la nature volcanique de cet archipel. Et notamment le fameux « Morro do Pico », aiguille de phonolithe qui surplombe le paysage tropical. « Le Phonolite se produit de chaque côté de la masse de tuf et de ses dykes basaltiques qui l'accompagnent. - Comme ces dykes sont d'apparence ordinaire, je suppose qu'ils sont naturellement injectés par en dessous d'une masse inférieure de basalte. - Par conséquent, le Basalte Phonolite alterne (& est supérieur (?)) au Basalte - ce qui est en opposition directe avec ce que dit Humboldt. — (Ceci n'est qu'une supposition) » Darwin, Journal géologique.

Dans l'ensemble, notre jeune géologue a vu juste en considérant que différents événements volcaniques se superposent dans ces affleurements rocheux. Ce qui est d'autant plus impressionnant qu'il ne disposait pas d'outils d'analyses pétrologiques modernes. Point de lames minces d'échantillons rocheux ni de microscope polarisant ! Le colossal roc "Morro do Pico" est bien composé de phonolite. Les divers dykes présentent cependant une nature pétrologique un peu plus complexe que ses descriptions sur le terrain. Les tufs volcaniques y sont également nombreux tout autour, comme il le note. Les coulées de lave les plus anciennes sont veinées d'intrusions magmatiques, qu'il interprète correctement comme des preuves d'événements volcaniques plus récentes. Au final, il dresse le portrait d'une île volcanique s'étant constituée lentement, par événements éruptifs progressifs. C'est une interprétation tout à fait correcte ! Et une preuve supplémentaire de son intérêt croissant pour les écrits de Lyell.

En définitive, il ne lui manquait que le contexte géologique liée à la dynamique des plaques divergentes pour parfaire son interprétation géologique. L'archipel de Fernando de Noronha était en effet autrefois situé sur un « point chaud » favorisant la remontée du magma de type OIB (Ocean Island Basalts). L'édifice volcanique insulaire résulte bien de différentes éruptions constitutives. Deux périodes volcaniques majeures se distinguent cependant. La première (Formation Remédios) eut lieu entre -10,4 Ma et -9,4 Ma. La seconde (Formation Quixaba) s'échelonne entre -4,7 Ma et -1,3 Ma. Différents événements mineurs se rajoutent à cette chronologie d'ensemble et expliquent les inclusions volcaniques (Lopes et al., 2015). Mais depuis, l'archipel s'est déplacé par rapport au point chaud et n'est donc plus situé en-dessous, provoquant l'arrêt des activités volcaniques. Il existe d'ailleurs un volcan sous-marin actif à l'Est de l'archipel, dans une direction respectant les mouvements de divergence de la plaque lithosphérique Sud-Américaine.


Carte géologique de Fernando de Noronha (Magini et al., 2022)

Darwin ne néglige pas pour autant la biodiversité de l'île. Il note que son climat chaud et sec n'est pas des plus compatibles avec sa couverture forestière. En février, la saison des pluies (avril-juin) n'a cependant pas encore commencé et les températures avoisinent les 27°C en moyenne. Et pourtant, cette couverture végétale se maintient ! De nos jours, la forêt tropicale originelle a quasiment disparue, et l'écosystème que Darwin visita en 1832 n'existe plus. Autrefois colonie pénitentiaire, l'île fut déforestée pour éviter que les évadés ne construisent des navires de fortune pour rejoindre le continent.

Il ne croisera pas non plus le lézard vedette de l'île : le Tégu noir et blanc (Tupinambis merianae). Et pour cause, ce reptile fut introduit dans les années 1950 pour contrôler les populations allochtones de rats, espèce exotique envahissante sur ces îles tropicales fragiles. Passagers clandestins des navires, les rats se sont rapidement répandus aux quatre points du globe. Prolifiques et voraces, il menaçant les populations d'oiseaux nichant au sol. Pour lutter contre cette espèce invasive, les autorités eurent l'idée d'introduire un prédateur potentiel, le Tégu noir et blanc. Il s'agissait là d'un flagrant cas d'idiotie écologique puisque les rats présentent une activité plutôt nocturne, tandis que ces lézards sont strictement diurnes. Au final, rats comme lézards prolifèrent en prédatant les oiseaux nichant au sol. Un véritable « cauchemar de Darwin » pour les espèces endémiques de l'île !

Autre originalité de l'archipel, ses grenouilles insulaires présentent des populations à plus de 44% difformes (Toledo & Ribeiro, 2009). Les chercheurs expliquent cette particularité par l'absence de prédateurs. Ces dernières échappent d'ailleurs au carnage provoqué par l'introduction de rats et de tégus. Mais en l'absence de cette pression de sélection, le taux de survie des individus malformés augmente fortement et leurs caractères insolites se répandent parmi les populations d'amphibiens. Encore une originalité qui aurait intéressé aussi bien Charles Darwin que Jean Rostand.


Commentaires

Articles les plus consultés en ce moment :

[1833] Le mauvais temps contrarie les projets de Darwin

[1833] Des îles Malouines jusqu'au Rio Negro

Darwin et la géologie des îles Malouines