[1835] Sur la route des Andes, à nouveau (3/3)

Suite et fin de cette expédition terrestre andine ! Nous avions laissé Darwin et ses compagnons aux mines de Panucillo, dont le propriétaire, M. Caldcleugh de Santiago, les accueille en personne. Le 12 mai 1835, notre jeune naturaliste fait le tour du propriétaire avec attention. Le minerai extrait est le pyrite de cuivre commun, d'une belle couleur jaune. Bien qu'estimée à plus de 30000 dollars, M. Caldcleugh en fit l'acquisition pour la modique somme de 3,8 livres sterling. Les anciens propriétaires ne croyaient pas possible de réduire le minerai en métal exploitable. Et malgré quelques déboires, notre entrepreneur anglais finit par rendre l'exploitation suffisamment rentable.


Pyrite de cuivre (wikipedia)


Le travail demeure pénible en cette première moitié du XIXème siècle, comme vous pouvez vous en douter. Les ouvriers remontent leur chargement sur leur dos pas moins de 12 fois par jour, soit un total de 1088 kg, et d'une profondeur atteignant les 73 mètres ! Rien n'a changé depuis les premières mines de l'âge de bronze ? Les hommes travaillent presque nus, le corps courbé, arqués, les muscles tremblants. Ils respirent difficilement, probablement victimes de la poussière quasi-permanente. « Voilà, me semble-t-il, un exemple extraordinaire de la quantité de labeur que l'habitude, car il peut s'agir de rien d'autre, enseigne à endurer ». La lutte des classes, ce n'est pas trop pour Darwin.

Mais intéressons-nous un peu à ces gisements de cuivre. Connaissez-vous leur origine géologique ? A l'état naturel, le cuivre se trouve dans des porphyres cuprifères. Les porphyres sont des roches magmatiques filoniennes à texture grenue (gros cristaux) contenant de grands cristaux feldspathiques. Initialement pour obtenir beaucoup de porphyres cuprifères, il faut un magma calco-alcalins caractéristiques d'arcs volcaniques des zones de subduction. Typiquement ce que nous avons au niveau de la Cordillère des Andes ! Alors que le magma refroidit en remontant vers la surface, la circulation des fluides encore chauds va favoriser la précipitation du cuivre sous la forme de porphyres, entre 1 et 6 km de profondeur. De grands volumes de magma doivent remonter rapidement depuis les réservoirs magmatiques afin de charrier suffisamment de fluides et de porphyres. Mais si l'éruption explosive aboutit, les dépôts cuprifères seront éjectés ! Cela signifie que pour avoir des gisements de cuivre, il faut de l'activité magmatique avorte sous la formation de roches magmatiques filoniennes.

Pour trouver des porphyres, il suffit de chercher des traces de volcanisme intrusif. C'est à dire un magma de forte viscosité, qui s'est infiltré au travers de roches existantes sans pour autant aboutir à la surface. Lors de précédentes randonnées dans les Andes, Darwin avait remarqué ces fameux dykes de diorite. Nous avions cependant noté lors d'un précédent billet que l'usage du terme « diorite » dans son Journal de Bord était peut-être erroné. Darwin s'avance probablement un peu trop vite ici, mais corrige largement le tir dans ses Geological Observations on South America. Toujours est-il qu'il documente à plusieurs reprises la présence de roches plutoniques intrusives affleurant sur les pentes des contreforts andins. De même insiste-t-il sur la présence de porphyres. Notons d'ailleurs que Darwin signale à plusieurs reprises la présence de ces fameuses roches porphyriques verdâtres, que l'on peut associer à des dykes andésitiques. Or l'andésite n'est-elle pas une roche volcanique associée au volcanisme de subduction, comme dans les Andes ? Les roches magmatiques filoniennes de Darwin et la mine de cuivre de Jajuel ne sont au final que deux témoins géologiques de la subduction de la plaque Nazca sous la plaque sud-américaine !

Le 13 mai 1835, Darwin et ses compagnons quittent Panulcillo jusqu'à Tambillos, ville minière dont les gisements de cuivre appartiennent également aux Anglais. Le 14 mai, c'est la fin du périple avec l'arrivée à Coquimbo. Le HMS Beagle les attend dans le petit port de Herradura, 5 km au Sud. Le navire est en rénovation, on radoube de fond en comble sa coque en vue de la prochaine traversée du Pacifique !


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