Robert FitzRoy : du Beagle à la Nouvelle-Zélande

Les deux décennies qui suivirent la circumnavigation du HMS Beagle marquèrent d'importants chapitres de la vie de Robert FitzRoy. Capitaine, géographe, Député puis Gouverneur, l'homme poursuit une carrière durant laquelle il s'illustre par son humanisme. Mais ces décennies marquent également un tournant orthodoxe dans sa foi chrétienne.

De retour de la seconde expédition du HMS Beagle, Robert FitzRoy épousa Mary Henrietta O'Brien, avec laquelle il était engagé depuis plusieurs années. Une surprise de taille pour Darwin, car FitzRoy n'avait jamais évoqué ses fiançailles pendant les 5 années de voyage ! Cette union serait, selon Richard Darwin Keynes, à l'origine du radicalisme religieux qui l'anima pour le restant de sa vie. Mais pouvons-nous vraiment l'affirmer ?

La radicalisation religieuse de FitzRoy fut certainement bien plus progressive que cela. Il est vrai que Robert, de son propre aveu, eut tendance à remettre en question le récit biblique du Déluge avant la seconde expédition du Beagle. La lecture des travaux de géologues lui faisant alors supposer que les quarante jours bibliques n'auraient guère suffi à constituer les vastes paysages sédimentaires actuels. Durant la seconde expédition du Beagle, FitzRoy ne se montrait guère bigot, s'avouant même à l'époque plutôt ignorant des Écritures. Il semblerait, selon R.D. Keynes, que Darwin se montrât même plus orthodoxe que les officiers à bord du navire ! Néanmoins FitzRoy était certainement affecté en son âme par son scepticisme. Prétextant vouloir protéger la morale des plus jeunes marins, il relie dans ses Narratives son orthodoxie religieuse à ses devoirs moraux de Capitaine envers son équipage. Mais il connut lui-même, au cours de l'expédition fluviale sur le Rio Santa Cruz (1834), une sorte de révélation religieuse. L'amoncellement de couches sédimentaires marines au cœur même de la Patagonie eut pour effet de convaincre Robert FitzRoy qu'il s'agissait là de preuves du Déluge biblique. Curieux renversement de situation ; le jeune Charles Darwin adopta au cours du Voyage du Beagle un argumentaire de plus en plus sceptique sur les Écritures, tout à l'inverse de Robert FitzRoy !

Au final, il est fort probable que son mariage avec Mary Henrietta O'Brien conforta sa foi orthodoxe naissante, et que la rigueur religieuse de son foyer l'incita à progressivement exposer publiquement ses croyances radicales. La conversion supposée serait alors une évolution publique de ses propos, plutôt qu'un bouleversement marital. Nous en avons pour preuves que si FitzRoy témoigne dans ses Narratives de sa révélation au cours de l'expédition sur le Rio Santa Cruz (1834), mais seulement lors de la publication de l'ouvrage en 1839. Avant cette date, il se garde de tout aveu public. Et pour cause, FitzRoy souhaite s'introduire dans les cercles scientifiques de son époque. Ce qu'il réussit grâce à l'entremise de Darwin. Lors de sa lecture du compte-rendu d'expédition fluviale sur le Rio Santa Cruz devant la Royal Geographical Society, en 1837, il s'exclame :


« N'est-il pas extraordinaire que des galets roulés et usés par la mer et des accumulations alluviales composent la plus grande partie de ces plaines ? Quelle a dû être l'ampleur et la durée immense de l'action de ces eaux qui ont poli les galets aujourd'hui enfouis dans les déserts de Patagonie ! » (FitzRoy, 1837).


Il se montra donc probablement prudent dans un premier temps, avant de considérer ses relations sociales suffisamment établies pour dévoiler son orthodoxie religieuse. D'abord conciliant envers l'hypothèse d'une Terre ancienne, il rejette brutalement dans ses Narratives (1839) les travaux stratigraphiques des géologues, défend l'hypothèse du Déluge responsable du paysage sédimentaire actuel, et plaide pour une hypothèse de la Terre jeune telle que chroniquée dans la Genèse.

FitzRoy ne renia pas pour autant ses travaux scientifiques, bien au contraire. Il devait poursuivre à l'avenir ses propres avancées en matière de météorologie. Mais à la fin des années 1830, la politique l'intéressa de nouveau. En 1841, Robert fut ainsi élu député conservateur de Durham. En 1842, il devint le premier Conservateur par intérim de la rivière Mersey. Un poste de gestionnaire unique en soit, consistant à assurer la navigation fluviale sur cette voie.

Il quitta vraisemblablement ses fonctions en 1843, lorsqu'à la mort du premier Gouverneur de Nouvelle-Zélande, le Capitaine William Hobson (1842), l'influente Church Missionary Society suggéra le nom de FitzRoy pour le remplacer. Une fois sa nomination officielle promulguée, il s'embarqua pour prendre son poste (certainement accompagné de son épouse et enfants). Ses instructions officielles consistent alors à protéger les terres Maoris de l'appétit dévorant des colons britanniques. Ce qu'il s'employa à faire avec zèle une fois sur place.


Le gouverneur Robert FitzRoy et son entourage visitant la conférence et la fête maories à Remuera, Auckland, le 11 mai 1844


Ménager Maoris et colons avec pour seule autorité qu'une réserve militaire réduite ne fut pas de tout repos. De plus, les revenus du Gouverneur, issus des droits de douane, étaient largement insuffisants pour tenir son rôle. Pourtant, Robert FitzRoy n'entendit pas jouer un rôle secondaire une fois sur place. Dès son arrivée, il fait missionner une enquête sur l'affrontement meurtrier de Wairau (1843) entre colons et Maoris. FitzRoy jugea les agissements des colons illégaux et contraires au traité de Waitangi qui empêchait le pillage foncier des terres autochtones. Il refusa également de prendre des mesures de représailles contre le chef maori Te Rauparaha mais condamna la violence des autochtones. La New Zealand Company et les colons britanniques se sentirent immédiatement trahis.

Mais FitzRoy ne se laissa pas faire. Il fit preuve d'humanisme auprès des Maoris, auditionnant lui-même Te Rauparaha et ses lieutenants, n'hésitant pas à lui présentant des excuses officielles pour les vols fonciers des colons. Les Maoris furent même indemnisés l'année suivante ! Pour autant, il réprimanda les deux camps pour le sang versé et les appela à vivre en paix. A Auckland, il désavoua vertement la presse locale qui avait envenimé la situation, rappelant à tous que cette appropriation de terres était un acte illégal et indigne. FitzRoy fut très vite impopulaire, mais il redoutait bien plus la colère des Maoris. En effet les autochtones, neuf cent fois supérieurs en nombre aux colons, s'armaient depuis des décennies et pouvaient à tout moment rejeter les Britanniques hors de l'archipel - pour peu qu'il y ait des survivants. Aussi FitzRoy considérait que la bonne entente avec les Maoris était primordiale.

Il nomma un surintendant du gouvernement dans la région de Wairau et réforma le traité de Waitangi. Désormais, les tractations foncières n'avaient plus besoin de passer par son bureau, mais devaient s’acquitter d'une taxe perçue par le gouvernement. Il renforça aussi les droits de douane, et reçut l'approbation de sa hiérarchie comme de la Church Missionary Society. Mais en Angleterre, l'influente New Zealand Company œuvrait contre lui. Tandis qu'en Nouvelle-Zélande, sa popularité auprès des colons britanniques n'avait de cesse de chuter. Hormis les missionnaires sur place, il semble que le Gouverneur ne disposait que peu de soutiens. Pourtant, l'humanisme de FitzRoy envers les autochtones transparaît dans ses actes politiques, là où l'image populaire lui attribue le rôle d'un inflexible fanatique religieux : « Je regrette de devoir dire que dans presque tous les conflits dont j'ai pu déterminer l'origine, l'homme blanc semble avoir été l'agresseur, pas toujours involontairement. L'ignorance de la langue, des coutumes, des frontières ou des tabous n'a pas été la cause de tant de querelles que l'insulte, la tromperie ou l'ivresse » Robert FitzRoy, Remarks on New Zealand (1846).

Alors que l'agitation Maori au Nord de l'archipel reprenait, FitzRoy n'eut guère les moyens militaires de mater les provocations du chef Hōne Heke. Du 11 mars 1845 au 11 janvier 1846, se déroula la drôle de Guerre du Drapeau, durant laquelle chaque camp abattit et fit réériger à tour de rôle le mât du drapeau britannique à Kororāreka ! Les escarmouches sanglantes entre les deux camps ne furent guère plus concluantes, et le conflit menaçait l'archipel d'un embrasement général. Ces événements donnèrent aux adversaires de FitzRoy suffisamment de poids pour que la Chambre des communes le fasse rappeler. Il fut remplacé par George Grey , alors gouverneur d'Australie-Méridionale.

FitzRoy revint en Grande-Bretagne en septembre 1848 et fut nommé surintendant des chantiers navals royaux de Woolwich . En mars 1849, il reçut son dernier commandement en mer, la frégate à vapeur HMS Arrogant. Le bâtiment, livré en 1848, était armé de 46 canons pour un équipage de 450 marins. Il s'agissait de l'une des toutes premières frégates à hélice de la Royal Navy, soit un vaisseau de guerre tout à fait novateur pour l'époque ! En 1850, Robert se retira du service actif, en partie pour des raisons de santé. L'année suivante, en 1851, il fut élu à la Royal Society avec le soutien de 13 membres, dont Charles Darwin. Sa première femme hélas décédée, il se remaria à Londres en 1854 avec sa cousine germaine Maria Isabella Smyth. Les années qui suivirent jusqu'à sa mort, Robert se consacra à une toute autre carrière, celle de météorologiste.

Durant ces années qui suivirent la seconde expédition à bord du HMS Beagle, quelle biographie connaissons-nous de Robert FitzRoy ? Peu de choses, en définitive, sauf si nous prenons le temps de lire ses Narratives et ses Remarks on New Zealand. Nous y découvrons alors le portrait d'un homme plus nuancé qu'il n'y paraît, comme le soulignent à juste titre Paul & Spencer (2013). Gentleman absorbé par sa foi très orthodoxe, il n'en demeure pas pour autant un fervent humaniste, dont la prise de défense des Maoris dénote avec l'esprit suprémaciste britannique du XIXème siècle. FitzRoy n'en était pas moins condescendant envers les chefs Maoris, cependant il avait à cœur de protéger les peuples autochtones. Nous découvrons une autre facette de FitzRoy, et bien qu'il considérait sans sourciller la diversité de peuples humains comme étant la preuve de la véracité des Écritures, il ne pouvait tolérer que la colonisation européenne soit synonyme de destruction de ces cultures indigènes. Une vision très progressiste pour FitzRoy, qui lui coûta hélas son poste de Gouverneur.



La frégate à vapeur de 48 canons HMS Arrogant, construite en 1848



Notes bibliographiques :


FitzRoy, R. (1837). Extracts from the Diary of an Attempt to Ascend the River Santa Cruz, in Patagonia, with the Boats of His Majesty's Sloop Beagle. The Journal of the Royal Geographical Society of London, Vol. 7, pp. 114-126.

FitzRoy, R. (1845). Remarks on New Zealand in February 1846. London, 67 p.

Keynes, R. D. (2001). Charles Darwin's Beagle diary. Cambridge University Press.

Paul, D. B.; Spencer, H. G. (2013). The Two Faces of Robert FitzRoy, Captain of HMS Beagle and Governor of New Zealand. The Quarterly Review of Biology, 88(3), p. 219-225.



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