Le baromètre de FitzRoy
Braver le mauvais temps à bord d'un brick-sloop du XIXème siècle tel que le Beagle n'était pas une mince affaire. Et si le navire parvint à boucler un tour du Monde quasiment sans encombres, il le doit autant aux talents de navigation de son Capitaine qu'à sa science météorologique capable d'anticiper plus d'un coup de vent ! Mais sans bulletin météorologique moderne, comment faisait-il pour prévoir les tempêtes ? Darwin évoque souvent dans son Journal de Bord un instrument bien original : le baromètre de FitzRoy.
Vous connaissez tous le baromètre, cet instrument de mesure de la pression atmosphérique qui, bien entendu, ne fut pas inventé par FitzRoy. Le tout premier modèle à colonne de mercure fut conçu par le célèbre Evangelista Torricelli en 1643. Or si Blaise Pascal fit de cet instrument d'admirables études géophysiques sur les pentes du Puy de Dôme, les marins tels que FitzRoy souhaitent surtout pouvoir prédire les brusques changements de conditions météorologiques en mer. Aussi FitzRoy embarqua à bord du HMS Beagle un tout autre modèle, se présentant sous la forme d'une large éprouvette scellée remplie d'une solution saline.
L'instrument, apparu en France au XVIIIème siècle, est incapable de déterminer la pression atmosphérique. Mais selon l'aspect des cristaux précipitant dans la colonne de solution aqueuse, il permet d'anticiper les changements météorologiques à venir. Curieux procédé, d'ailleurs la méthode est-elle efficace ? Suffisamment pour en convaincre Darwin et FitzRoy au cours de l'expédition : « Si nous n'avions pas de baromètre, nous serions probablement restés deux heures de plus à l'ancre, et puis si le coup de vent avait été un peu plus fort, nous aurions été dans un plus grand situation dangereuse » Charles Darwin, Journal de Bord (entrée du 27 Août 1832).
FitzRoy n'en est en rien l'inventeur de ce curieux tube à tempêtes. Nous ignorons le nom de son concepteur, probablement français. Mais il perfectionna le contenu du « storm glass ». L'instrument est un cylindre de verre transparent et clos, rempli aux 3/4 pour permettre la dilatation du liquide. S'y rajoutent divers sels en solution de concentration proche de leur saturation, mélangés à divers solvants chimiques. FitzRoy développa sa propre mixture avec de l'eau distillée, de l'éthanol, du nitrate de potassium, du chlorure d'ammonium et du camphre. Il perfectionna recette et interprétation météorologique dans son ouvrage Weather Book (1863).
L'évolution des cristaux fournissait, selon FitzRoy, une information météorologique fiable. La renommée de l'expédition du Beagle et le succès éditorial des Narratives (surtout le tome rédigé par Darwin) popularisèrent l'instrument auprès du grand public. Le lecteur était fasciné par les prédictions météorologiques qu'en tirait FitzRoy. L'accomplissement de son tour du Monde en cette époque de périls maritimes étant alors la meilleure preuve de l'efficacité du baromètre à tempêtes. Mais pour autant, les physiciens du XIXème siècle ne prirent jamais cet instrument au sérieux, argumentant qu'aucun échange n'étant réellement possible avec le milieu extérieur. Il ne pouvait donc y avoir causalité avec des phénomènes météorologiques présents ou à venir.
Nous devons certainement la critique scientifique contemporaine de l'instrument la plus aboutie à Charles Tomlinson, qui en 1863 publia une étude dans The Philosophical Magazine : « je pense qu'il peut être raisonnablement conclu de ces expériences et observations que le verre tempête agit comme une sorte de thermoscope rudimentaire , inférieur, pour la plupart des objectifs d'observation, au thermomètre ». Deux siècles plus tard, Tanaka et al. (2008) parviennent à une conclusion similaire : les changements d'aspect des cristaux sont surtout dû aux variations de température externe. C'est donc entendu, la causalité est assez faible. Mais quid de la corrélation ?
Intéressons-nous pour cela aux explications de Robert FitzRoy lui-même. Le Capitaine du Beagle croit fermement aux propriétés prédictives de son baromètre à tempête. Il avance même une explication scientifique, convaincu que l'électricité statique de l'air est en relation avec les changements météorologiques et l'état des cristaux observés. Dans son Weather Book, il donne une description détaillée des formations minérales et de l'aspect du solvant, autant de précieux indices pour formuler ses prévisions météorologiques. Le blog The Straight Dope a mené une petite expérience afin de mesurer la fiabilité prédictive de l'instrument. Dans 53 % des cas, le baromètre annonce la bonne météo, avec un intervalle de confiance compris entre 38 et 62 %. Une corrélation accordant une chance sur deux de tomber juste !
Nous avons donc une causalité discutable pour une corrélation tout aussi médiocre. Mais alors, pourquoi le baromètre de FitzRoy remporta-t-il un tel engouement durant le XIXème siècle ? Pour le comprendre, plaçons-nous dans le contexte de l'époque. En 1859, alors que Robert FitzRoy est depuis cinq années le premier directeur du service météorologique britannique, de puissantes tempêtes côtières balayent les îles britanniques. En réponse à ce sinistre, la Royal Navy adopte le baromètre de FitzRoy, et la Couronne fait distribuer l'instrument dans différents ports. Ses prévisions demeurent peu fiables, mais améliorent tout de même sensiblement la sécurité des marins. Nous sommes à l'aube du bulletin météorologique maritime !
FitzRoy fut un personnage populaire durant la seconde moitié du XIXème siècle, probablement plus en raison de ses contributions météorologiques que grâce à ses récits d'expédition à bord du Beagle. Durant sa carrière de météorologue, il œuvra constamment à mieux prévenir le risque météorologique. Outre son fameux baromètre, il fit relier des stations terrestres au nouveau télégraphe afin de transmettre au service météorologique les premiers rapports prévisionnels quotidiens à heure fixe. En 1860, il introduisit une signalétique d'avertissement de tempête dans les principaux ports, et obtint que les flottes restent au port en cas de mauvais temps. En 1861, il contribua au premier bulletin météorologique publié dans le Times. Considéré comme le sauveur de nombreuses vies en mer grâce à toutes ces innovations, FitzRoy et son baromètres inspirèrent même la littérature : Jules Verne en grand amateur de technologie en fit usage dans ses Voyages extraordinaires. Victor Hugo, ardent défenseur du genre humain, l'évoque dans ses Travailleurs de la mer. Peu fiable, peut-être, mais le baromètre de FitzRoy n'en reste pas moins un des premiers outils de prévision météorologique diffusé à grande échelle !
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