[1833] Une expédition dans la pampa uruguayenne (4/4)

Il est temps pour Darwin et ses compagnons de rentrer à Maldonado ! Partis le 9 mai 1833, ils seront de retour dans la ville côtière onze jours plus tard. Comme nous l'avons vu dans les billets précédents, Darwin est accompagné par deux guides, Don Francisco Gonzales et son serviteur Morante. Le 18 mai 1833, ils ont a nouveau traversé Las Minas, petite bourgade autrefois minière à l'intérieur des terres. Ils se rendent chez Sebastian de Pimiento, un vieux caballero chez qui Darwin fut la coqueluche de ses filles !

Après avoir gravi la Sierra de las Animas le 19 mai, il ne reste plus qu'à passer la nuit chez Don Francisco Pimiento, avant de partir le lendemain pour Maldonado. Le 20 mai 1833, les cavaliers sont au bout de leur périple. Dans son Journal de Bord, Darwin s'estime ravi de son escapade, aussi bien pour ses relevés géologiques que pour les rencontres des Gauchos qui y fit.



Pendant ce temps, le HMS Beagle a déposé au 18 mai 1833 des ouvriers au port de Maldonado pour effectuer quelques travaux d'entretien de la Goélette ramenée des Malouines. Il n'y est pas resté plus d'une heure. A l'attention de Darwin, il y a également laissé une lettre datée du 13 janvier 1833. Il s'agit d'une lettre de Caroline, sa sœur, qui s'inquiète des dernières nouvelles reçues alors que le HMS Beagle voguait vers la Terre de Feu ! Cette lettre mérite que nous nous y attardions quelques instants, car elle révèle quelques informations intéressantes, notamment sur Marianne Darwin Parker (1798 - 1858), la sœur aînée de Charles. Nous apprenons que Marianne, qui a épousé le Dr. Henry Parker en 1824. De ce mariage naquirent cinq enfants. Caroline nous apprend que le couple vit à Overton, et que ses neveux Parky & Henry sont fiers d'avoir pu placer sur un mappemonde la position de leur oncle voyageur ! Vu les dates de naissance des enfants Darwin - Parker, il doit s'agir de Robert Parker (1825 - 1907) et Henry Parker (1828 - 1893). Les deux autres frères, Francis et Charles, étant alors respectivement âgés de 4 ans et 2 ans, n'étaient probablement pas encore assez grands pour consulter une carte terrestre.

Nous apprenons également que Darwin projetait bien de prendre la charge d'un presbytère une fois son voyage à bord du HMS Beagle achevé, du moins était-ce son ambition au départ de Plymouth. Sa sœur Caroline, qui espère que la Patagonie n'eut pas raison de la santé fragile de son frère, l'encourage à rentrer au plus vite pour exécuter ce plan si jamais les conditions s'avèrent trop rudes pour Charles ! Comme nous le savons désormais, la Terre de Feu n'eut par raison de la motivation de Darwin, et il est fort probable qu'en ce mois de mai 1833, la vocation de pasteur-naturaliste lui semblait désormais moins réjouissante.

Les 21 – 23 mai 1833, Darwin est occupé à répertorier les spécimens et roches collectées durant son excursion terrestre. Pour compléter sa collection d'animaux, il parcourt à pied les alentours de Maldonado. Nous pouvons cependant citer quelques espèces remarquables qu'il rencontra lors de son périple à cheval. Sur le plan ornithologique, il y eut bien entendu les Nandous d'Amérique dont nous avons déjà parlé. Mais aussi des Perdrix, remarquablement chassées à cheval par les Gauchos. Dans ses Notes zoologiques, Darwin décrit leurs comportements avec un regard naturaliste et cynégétique : elles courent plus qu'en Angleterre et ne se cachent pas à portée de fusil. Pour autant, la perdrix uruguayenne n'est pas une espèce autochtone. Il s'agit de Perdrix grises et Perdrix rouges qui furent toutes deux introduites par les premiers colons en mal de faune européenne. Aujourd'hui, ces perdrix sont toujours chassées, mais le fusil et le chien de chasse ont remplacé l'étonnante technique des Gauchos. Les tours opérateurs de voyages de chasse propose même des séjours dans la pampa pour qui souhaite s'adonner au tir à la perdrix.

Autre oiseau cette fois-ci autochtone, Darwin décrit le Fournier roux (Furnarius rufus) comme une espèce très commune et anthropophile. Son étonnant nid en forme de cabane de boue et branchages construit dans les arbres, entre les rochers ou sur un cactus. Ce qui a d'ailleurs de quoi surprendre le promeneur. La Sturnelle à sourcils blancs (Leistes superciliaris), passereau de la famille des Ictéridés, s'observe fréquemment en bandes comme des étourneaux dans les champs, les pâturages et les zones agricoles. L'espèce apprécie les troupeaux de bovins, d'où sa facile observation dans ce paysage rural profondément marqué par l'élevage. Plus discret à première vue, mais bien présent dans les milieux ouverts tels que la pampa, Darwin coche aussi le Pipit à plastron (Anthus furcatus). Cette espèce de Motacillidé ne se croise qu'en Amérique du Sud. A nouveau, Darwin croise la fameuse Bécassine de Magellan (Gallinago magellanica). Ce limicole est présent en Uruguay, mais y serait un visiteur non-nicheur d'après Avibase. Tant que nous sommes dans les Limicoles, Darwin observe une espèce que j'ai souvent raté de peu en birdwatching ; aussi je suis un peu jaloux de son observation du Chevalier à pattes jaunes (Tringa flavipes) ! Tout aussi magnifique à observer et difficile à rater cette fois-ci, Darwin décrit aussi dans ses Notes zoologiques en Uruguay la célèbre Échasse blanche (Himantopus himantopus).

Plus prudemment, Darwin nomme dans ses Notes zoologiques sous le terme de "Lanius" différents passereaux ressemblant à des pies-grièches. La liste de ces observations incertaines est longue (rappelez-vous que Darwin n'a ni longue-vue, ni guide sonore à sa disposition !). Nous retrouvons ainsi parmi les espèces qui purent être identifiées ultérieurement le Moqueur de Patagonie (Mimus patagonicus). Mais aussi le magnifique Tyran quiquivi (Pitangus sulphuratus) ! Cet oiseau très populaire en Guyane et au Brésil peut aussi se laisser observer en Uruguay. La liste des observations ornithologiques de Darwin en Uruguay est assez longue, il faut préciser qu'il s'agit au final des données qu'il recueillit à Maldonado et ses alentours en mai-juin 1833. La grande diversité d'espèces rencontrées s'explique par les différents milieux ! Des zones côtières de Maldonado aux nombreuses rivières (rios) et zones humides de l'arrière-pays, en rajoutant les boisements des ripisylves et les prairies de la pampa, il y a de quoi prospecter pour tout ornithologue qui se respecte ! Et Darwin en profita largement.


Tyran quiquivi (Pitangus sulphuratus) - wikipedia


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