[1833] Une expédition dans la pampa uruguayenne (2/4)

Le 10 mai 1833, Darwin chevauche dans la pampa uruguayenne ! « Cela paraît un vrai délice de chevaucher sur une telle étendue de gazon, mais je jure que je finis par me lasser tellement des sempiternelles vertes collines » Charles Darwin, Journal de Bord. Comme vous le savez déjà, le jeune naturaliste est parti en randonnée équestre avec deux guides locaux, Don Francisco Gonzales et son serviteur Morante. Du 9 au 10 mai 1833, ils chevauchent à travers l'arrière-pays de Maldonado. Les trois compagnons atteignent Las Minas le soir du 10 mai, petite bourgade construite selon le même plan de rues symétriques, perpendiculaires et parallèles entre-elles, que les autres anciennes colonies espagnoles de la région.

Las Minas, désormais connue sous le nom de Minas, fut fondée par Rafael Pérez del Puerto en 1783, quand un nombre important d'émigrants de régions des Asturies et de la Galice vinrent s'installer en Uruguay. Son nom d'origine était Villa de la Concepción de las Minas. Il s'agit alors d'une très petite bourgade : « La ville de Las Minas est considérablement plus petite que Maldonado » Charles Darwin, op. cit. La soirée va se dérouler dans une pulperia, sorte de troquet et épicerie en Amérique du Sud. Rien à voir avec le saloon des cow-boys du far-ouest américain. Vous n'y croiserez pas de personnages façon western spaghetti, mais il faut toutefois en connaître les codes sociaux pour quiconque souhaite y sortir raisonnablement vivant. Et fort heureusement, Darwin est chaperonné par ses deux guides !

Comme nous l'avons décrit plus haut, la pulperia est à la fois une épicerie et un troquet rural. On y vient pour acheter des vivres et de l'équipement, pour s'y restaurer, mais surtout pour y boire de l'alcool fort local. Comme vous pouvez l'imaginer si vous suivez assidûment les aventures de Darwin sur ce blog, notre jeune anglais a une sainte horreur des débauches d'alcool. Aussi la soirée ne va guère être de son goût. Pourtant, Darwin ne va pas manquer l'occasion de jouer les observateurs sociologiques tout en se fondant malgré lui dans l'ambiance nocturne.

« Au cours de la soirée, il est venu un grand nombre de jeunes Gauchos pour boire de l'alcool et fumer le cigare […] Leur politesse est excessive : ils veulent toujours faire goûter les alcools qu'ils boivent, mais tandis qu'ils saluent cérémonieusement d'un signe de tête, on les sent prêts à vous couper la gorge en même temps, si l'occasion se présentait » Charles Darwin, op. cit.


"Interior de la pulperia" Juan Pallière (1858)


Le 11 mai 1833, Darwin et ses deux compagnons zigzaguent autour de Las Minas pour visiter la pampa environnante. Le vert pays est désormais plus accidenté, comme une sorte de « région alpine en miniature » commente-t-il. Le soir, étape dans la demeure du riche propriétaire terrien Don Juan Fuentes. C'est dans cette région reculée qu'il observe pour la première fois ce qu'il nomme des "autruches" ! Mais il commet une regrettable erreur ornithologique dans son Journal de Bord, puisqu'il ne croise pas des Autruches africaines mais un troupeau de 20-30 Nandous d'Amérique (Rhea americana, Greater rhea en anglais), de la famille des Rheidae.

Attention cependant, il n'existe qu'un lien assez éloiles Autruches d'Afrique appartiennent à la famille des Struthionidae. Rien à voir avec les Rheidae. Pas même l'Ordre parmi la Classification du Vivant ! En effet, les Autruches appartiennent aux Struthioniformes Struthionidés, tandis que les Nandous sont des Rheiformes Rheidés ! Il ne faut pas non plus confondre cette observation avec une autre espèce, le Nandou de Darwin (Rhea pennata), espèce plus méridionale, et que Darwin (co-)découvrira un peu plus tard, en août 1833 !


Nandou d'Amérique (Rhea americana). Lithographie antique montrant le Grand Rhéa ou Nandou d'Amérique. Imprimé en Allemagne, 1882 comme illustration pour Brehms Tierleben.


Le soir, Darwin profite d'un barbecue à l'uruguayenne sur la propriété de son hôte, Don Juan Fuentes. Comme le veut l'usage, lui et ses deux compagnons se sont longuement présenté, et échangé divers propos anodins avant de demander l'hospitalité. Si offrir gîte et couvert est un devoir pour l'hôte, les règles de courtoisie uruguayennes exigeaient que les voyageurs engagent respectueusement leur démarche par ces longs échanges courtois. Prenez garde, y manquer était non seulement discourtois, mais signe d'un grand manque d'honneur !

Darwin s'avère assez déçu par le barbecue. Un énorme tas de viande rôtie. Pas de recettes particulières si ce n'est une bouillie de viande à la citrouille. Pas de pain, ni sel, ni légumes, rien d'autre à boire que de l'eau. Le grill est sale, la nappe tâchée de gras. La soirée se termine à fumer avec quelques chansons improvisées accompagnées à la guitare. Entre hommes. Les femmes ont soupé dans leur coin, elles ne se mélangent pas aux hommes. A croire que Darwin se montre sarcastique sur cette dernière chose, puisque de conclure dans son Journal de Bord : « Et voilà le luxe que s'offre ici la richesse ! »

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