[1833] L'ascension de la Sierra de las Ánimas

Le 19 mai 1833, Darwin entreprend l'ascension de la Sierra de las Animas. Cette colline de 501 m d'altitude qui surplombe la pampa uruguayenne alentours est un site géologique local majeur. Mais ce relief naturel est également chargé d'histoire et de légendes.

Sierra de las Animas - Marcelo Campi (wikipedia)

Levés tôt, Darwin et son guide local entament une randonnée qui va les mener jusqu'au somment de ce relief. S'il est imposant, il le doit surtout à la perspective par rapport pénéplaine environnante du craton de Rio de la Plata. Seulement voilà, géologiquement parlant, cette colline dénote aussi dans le paysage. En effet, la Sierra de las Ánimas est sillonnée de roches volcaniques intrusives, datant probablement du Protérozoïque et témoignant d'une intense activité volcanique passée : basaltes, trachytes, porphyres, rhyolites. De manière intéressante, les documents locaux disponibles en espagnol parlent aussi d'intrusions de syénite, qui n'est pas une roche volcanique mais magmatique. Proche des granites, cette roche s'en distingue notamment par son absence minéralogique de quartz.

La présence d'intrusions de roches volcaniques et magmatiques témoigne de différents scénarios de remontée du magma entre le Protérozoïque et le Cambrien dans cette région, et intéresse fortement les géologues uruguayens. Il semblerait que deux événements volcaniques majeurs ait eu lieu à la Sierra de las Ánimas au cours des âges géologiques, le premier entre 565 - 615 Ma et le second entre 490 -520 Ma (Betucci & Linares, 1996). Au niveau des zones de contact avec l'encaissant, on trouve aussi des pierres précieuses ! Du jaspe pour être plus précis, sous la forme parfois de blocs volumineux.

Point de vue faune locale, Darwin eut de quoi observer. Lors du projet d'installation d'un parc éoliennes sur la Sierra de las Ánimas, l'étude d'impact recensa pas moins de 43 espèces d'oiseaux et 7 espèces de mammifères. Chose insolite, cette estimation fut menée par prospection à cheval. Revenons quelques instants sur ce projet contemporain de parc éolien. Car même s'il ne date bien évidemment pas de la visite de Darwin en 1833, il fit l'objet d'une vive opposition locale dès son annonce en 2013. Au final, le projet éolien fut abandonné. Mais désormais, l'écosystème fragile de la Sierra de las Ánimas est menacé par l'étalement urbain. Un collectif citoyen tente de faire reconnaître le site comme espace naturel à protéger.

La nature n'est pas le seul point fort justifiant la préservation de ce site naturel. L'archéologie est aussi au rendez-vous « Au sommet il y avait plusieurs petits empilements de pierres, qui de toute évidence y étaient depuis longtemps » Charles Darwin, Journal de Bord. La "colline aux âmes" est en effet un site archéologique amérindien majeur, fréquenté notamment durant la colonisation espagnole. Les Charrúas qui peuplaient le pays furent progressivement repoussés, et trouvèrent refuge sur ces collines pendant cette période de déclin puis d'extinction de leur peuple.

Le site était probablement déjà utilisé avant cela comme lieu de sépulture. Il existe des traces de tombes ou "cairns", constructions indigènes de rituels funéraires, qui correspondent aux empilements de pierres que décrit Darwin. Quant à la légende... elle prétend que la nuit, vous pouvez voir la lueur des esprits Charrúas. Les fameuses "mauvaises lumières" sont les âmes des anciens maîtres de la pampa qui y ont péri. Avouez que construire une zone résidentielle sur un ancien cimetière indien, on a déjà connu ce genre de mauvais scénario télévisé ! Mais trêve de plaisanteries. Le génocide des peuples amérindiens est un fait historique aussi tragique que révoltant, dont Darwin fut d'ailleurs témoin au cours de son fameux Voyage. Il est particulièrement bienvenu de le rappeler ici aussi.

Gravure de Charrúas (1833)